The Lily de Layla Zoe : Quand Janis Joplin rencontre la Route 66 au fond de l'âme
Ma découverte de l'album "The Lily" de Layla Zoe a débuté avec une première impression visuelle trompeuse. La pochette laissait penser à un genre pop, alors que le vendeur, bien que connaissant bien le rock, ne parvenait pas à identifier l'artiste.
Cette rencontre fortuite s'est transformée en une véritable révélation. Dès les premières notes, la puissance et le grain de la voix de Layla Zoe m'ont saisi, évoquant instantanément la résurrection de Janis Joplin. Cette réaction spontanée est d'autant plus fascinante qu'elle valide les comparaisons faites par de nombreux critiques, qui soulignent l'intensité brute et l'émotion palpable qu'elle dégage. Layla Zoe possède des qualités qui transcendent les étiquettes de genre, prouvant qu'elle est une artiste digne d'intérêt.
Bien que le Canada ne soit pas traditionnellement perçu comme la « terre du blues » la plus médiatisée, à l'instar des États-Unis (le Delta du Mississippi, Chicago, la Louisiane, etc.), il n'en est pas moins une source de talents. On associe souvent le pays au rock alternatif, à la musique folk ou à la pop, mais il regorge de musiciens de blues de grande qualité, même s'ils sont moins sous les feux des projecteurs. Le parcours de Layla Zoe en est la preuve vivante :
- Née en Colombie-Britannique, elle a été imprégnée dès son plus jeune âge de la collection de disques de blues de son père.
- Elle a débuté à 15 ans en chantant avec le groupe de son père, faisant ses preuves dans les bars et cafés locaux avant de se faire connaître sur la scène internationale.
- Sa réussite, notamment en Europe où elle a déménagé en Allemagne en 2013 pour mieux gérer ses tournées, est un témoignage éloquent de son talent. En 2016, elle a d'ailleurs été couronnée « Meilleure chanteuse » aux European Blues Awards. Ce parcours, issu d'une origine moins attendue, est précisément ce qui rend son authenticité et sa carrière d'autant plus remarquables.
Comprendre l'identité musicale de Layla Zoe passe par l'exploration de ses influences majeures. Sa musique puise dans un éventail de styles qui façonnent son approche unique.
● Ses influences clés incluent des icônes aussi diverses que :
-Frank Zappa,
- Tom Waits,
- Neil Young (elle reprend d'ailleurs son titre "Hey, Hey, My, My" sur cet album)
- Muddy Waters
- Janis Joplin, à qui son style vocal est si souvent comparé par la critique et ses fans.
Cette liste fascinante révèle une artiste aux goûts éclectiques, puisant à la fois dans le rock (Zappa, Waits, Young), le blues pur (Muddy Waters) et les figures emblématiques du blues-rock vocal. C'est précisément ce mélange qui enrichit ses sonorités et les émotions de sa musique, notamment dans "The Lily". Cette diversité d'influences est ce qui rend son parcours et son travail si intéressants.
● Deux moments clés de la carrière de Layla Zoe illustrent parfaitement son talent et son parcours singulier :
▪︎ L'admiration de Jeff Healey : Le regretté grand bluesman canadien Jeff Healey a un jour déclaré à propos d'elle : « Elle a probablement créé le plus grand buzz vocal parmi toutes les chanteuses que j'ai entendues ces dernières années à Toronto. » Ce témoignage puissant, venant d'une figure aussi respectée du blues, souligne l'impact précoce et indéniable de la voix de Layla Zoe.
▪︎ Une rencontre gospel avec Susan Tedeschi : Une autre anecdote fascinante révèle sa polyvalence et son authenticité. Il est rapporté qu'elle a chanté du gospel dans les rues d’Allemagne avec Susan Tedeschi. Le gospel, qui est une racine profonde du blues, et la collaboration avec une figure majeure du blues-rock contemporain comme Tedeschi, montrent sa capacité à partager des moments musicaux spontanés avec d'autres grands noms du genre.
Ces anecdotes renforcent l'idée que Layla Zoe est une artiste profondément ancrée dans la tradition du blues, tout en possédant une approche très personnelle et une reconnaissance significative de la part de ses pairs.
L'art et le parcours de Layla Zoe suggèrent qu'elle a connu des épreuves et un chemin de vie difficile, à l'image des premiers bluesmen. Plusieurs aspects de son travail, ancrés dans la nature même du blues, étayent cette idée :
▪︎ Le blues comme une catharsis : Selon la propre définition de Layla Zoe, le blues n'est pas seulement une musique, c'est une forme d'expression de la douleur qui laisse entrevoir l'espoir. Elle le voit comme un genre musical brut et sincère qui permet d'extérioriser des sentiments profonds et nécessaires. Cette approche suggère que sa musique est ancrée dans des expériences personnelles intenses.
▪︎ Des sujets de chansons intimes et engagés : Cette profondeur se reflète dans les thèmes de ses chansons. L'album inclut des titres comme "Father", un morceau de blues lent et intime dont les paroles sont émouvantes. Le titre "They Lie" est, quant à lui, un morceau rempli de rage où la voix de Layla Zoe dénonce avec passion une société de menteurs. Des sujets difficiles comme la douleur, la politique, l'amour et le courage sont aussi abordés dans cet album.
▪︎ La "route", une métaphore du blues : Comme les bluesmen qui ont quitté le Delta pour Chicago, Layla Zoe a pris la route. Après avoir fait ses armes au Canada, elle a commencé à tourner en Europe dès 2013 et s'y est installée pour ses tournées. D'abord en Allemagne, puis aux Pays-Bas, où elle réside actuellement. Ce parcours géographique, bien que motivé par sa carrière, fait écho de manière symbolique au cheminement des artistes de blues qui cherchaient de nouvelles opportunités tout en exprimant leur vécu à travers leur musique.
▪︎ L'identité artistique de Layla Zoe : repose en grande partie sur l'intensité de son chant. Sa voix puissante est perçue comme l'expression pure d'émotions intenses , ce qui lui vaut d'être comparée à Janis Joplin. Cette approche vocale, que d'aucuns qualifient de « déchaînement total » , a amené certains observateurs à suggérer qu'une production plus modérée sur l'album “The Lily” aurait pu la « maîtriser un peu plus vocalement ». Ces remarques montrent que si son intensité brute et débordante est reconnue, elle peut aussi être jugée excessive par une partie du public.
Ces éléments renforcent l'idée que Layla Zoe s'inscrit dans la tradition profonde du blues, où l'artiste utilise sa musique pour transformer la douleur en un message à la fois brut et porteur d'espoir.
La collaboration entre Layla Zoe et le talentueux bluesman allemand Henrik Freischlader est un élément déterminant de son succès en Europe, et plus particulièrement de l'album "The Lily".
▪︎ Une rencontre décisive : Tout a commencé en 2009, lorsque Layla Zoe a été invitée pour la première fois à chanter au festival Grolsch Blues en Allemagne, accompagnée par le groupe de Henrik Freischlader.
▪︎ Un partenariat fructueux : Impressionné, Freischlader, qui dirige son propre label, Cable Car Records, lui a proposé un contrat en 2010. Cette collaboration a donné naissance à trois albums acclamés par la critique, dont le célèbre "The Lily" en 2013.
▪︎ Le rôle essentiel de Freischlader : Pour cet album, le rôle d'Henrik Freischlader a été central. Il a non seulement produit le disque, mais il a aussi composé la musique des morceaux originaux, joué de la guitare, de la basse et de la batterie, et assuré les chœurs. L'album a d'ailleurs été enregistré dans son propre studio en Allemagne. Layla Zoe et lui ont également été rejoints par l'organiste de son groupe, Moritz Fuhrhop, le seul autre musicien impliqué dans le projet.
Ce partenariat a offert à Layla Zoe une plateforme solide en Europe et a été déterminant pour la reconnaissance de son travail, prouvant une fois de plus sa capacité à s'entourer d'artistes de grande qualité.
L'ouverture de l'album "The Lily" par le gospel a cappella "Glory, Glory, Hallelujah" est un choix artistique audacieux et puissant. En plus de mettre immédiatement en valeur la voix de Layla Zoe, ce morceau établit d'emblée une atmosphère particulière qui donne le ton du voyage émotionnel à venir.
Ce choix d'introduction renforce l'idée de souffrance et de résilience pour plusieurs raisons :
▪︎ Le gospel, une musique de l'espoir : Le gospel est un genre profondément enraciné dans l'histoire de la souffrance et de l'oppression, mais aussi de l'espoir et de la persévérance.
Commencer l'album avec un tel chant établit instantanément un lien avec ces thèmes de foi et de capacité à surmonter les épreuves.
▪︎ L'a cappella, l'émotion à nu : Le fait que ce soit chanté a cappella, sans aucun accompagnement instrumental, met la voix et l'émotion de Layla Zoe à nu. Cela rend l'expression de la souffrance et la force de la résilience encore plus directes et palpables, sans aucun artifice.
▪︎ La philosophie de Layla Zoe : Cette ouverture incarne parfaitement la vision de l'artiste. Comme nous l'avons évoqué, Layla Zoe définit elle-même le blues (dont le gospel est une racine) comme « une expression de la douleur, mais avec un sentiment d'espoir à la fin ». Le morceau d'introduction prépare ainsi l'auditeur à un voyage explorant des thèmes profonds de douleur, mais aussi de force et d'espoir.
Ce début percutant suggère que l'album explorera des thèmes profonds de douleur, mais aussi de force et d'espoir.
La reprise de "Hey, Hey, My, My" de Neil Young qui clôture l'album "The Lily" suscite des avis partagés. Si certains la considèrent comme un incontournable, d'autres nuancent son statut de "moment fort" en raison du long larsen de guitare qui occupe les deux dernières minutes du morceau. Bien que fidèle au style live de Neil Young, ce choix est perçu par certains comme une conclusion peu conventionnelle pour l'album.
● Pourtant, cette fin peut être vue comme une affirmation artistique forte.
▪︎ Hommage à un compatriote et influence majeure : Neil Young, étant lui aussi un artiste canadien, est une influence déclarée pour Layla Zoe. Conclure l'album avec cet hommage est un geste personnel et significatif. C'est une manière de rendre hommage à ses racines et à ceux qui ont façonné sa musique.
▪︎ Un choix personnel assumé : Clore un album est un choix très personnel. Le larsen de guitare, loin d'être un défaut, peut être interprété comme une prolongation de l'émotion ou une décharge d'énergie, à l'image des performances live de Neil Young qu'elle a voulu évoquer. Layla Zoe ne cherche pas à plaire à tout prix, mais à exprimer sa vision, même si cela peut diviser le public.
▪︎ Authenticité artistique : Ce choix renforce l'authenticité de l'artiste. Il souligne l'importance de l'intention artistique derrière les choix de production et d'interprétation. Ce qui est une «faiblesse » technique pour certains peut être une « force » émotionnelle ou symbolique pour l'artiste et son public.
En fin de compte, l'exécution de cette reprise est un excellent exemple de la manière dont une même œuvre peut être sujette à différentes interprétations et appréciations, en fonction de la sensibilité et des attentes de chacun.
L'album "The Lily" de Layla Zoe a reçu un accueil critique majoritairement élogieux, témoignant de sa qualité et de sa capacité à séduire les connaisseurs du genre. Le prestigieux magazine américain "DownBeat" l'a d'ailleurs désigné comme l'un de ses "top albums de l'année".
Malgré cette reconnaissance générale, il est intéressant de noter que des réserves ont été émises. Celles-ci concernent des points précis, et il est possible que des fans partagent ces avis plus nuancés :
▪︎ L'intensité vocale de Layla Zoe : Certains critiques mentionnent des passages où elle a tendance à "forcer sa voix", donnant lieu à des moments jugés "stridents". Le morceau "Father" est parfois cité comme l'exemple le plus flagrant de cette approche vocale intense.
▪︎ Le "surjeu" d'Henrik Freischlader : La collaboration avec le producteur et guitariste Henrik Freischlader a également été soumise à discussion. Certains critiques estiment qu'il peut "surjouer" ses solos de guitare, les qualifiant de "théâtraux", ce qui peut nuire à l'effet général de certains morceaux.
Ces points de désaccord, bien que minoritaires, ne remettent pas en cause la qualité globale de l'album. Ils soulignent plutôt l'authenticité de l'œuvre et la prise de risques artistiques qui, si elles divisent parfois, contribuent à faire de "The Lily" un album marquant dans la discographie de Layla Zoe.
Dire qu'un album n'est pas "parfait" selon certaines critiques ne remet pas en question son excellence. Il est pertinent de réévaluer l'impact réel de ces "points faibles" :
● Concernant le "forcing vocal" de Layla Zoe, je l'interprète de la manière suivante :
▪︎ Une prise de risque assumée : Je ne perçois pas ce "forcing" comme un défaut, mais comme une prise de risque délibérée. Un artiste qui "force" sa voix cherche parfois à transmettre une émotion brute, une urgence ou une intensité qu'une technique vocale plus maîtrisée ne pourrait pas offrir. C'est un choix artistique conscient.
▪︎ Au service du message : Cette approche vocale met en valeur le message de la chanson. Si une émotion de douleur, de colère ou de passion est au cœur du morceau, une voix "forcée" peut être le moyen le plus direct et authentique de la faire passer. Pour le blues, une musique qui vient des tripes, cette intensité est souvent une force, pas une faiblesse.
Mon point de vue remet en question la norme de la "perfection vocale" au profit de l'expressivité émotionnelle. Pour moi, l'authenticité et l'impact du message priment sur une technique vocale lisse.
L'avis de certains critiques sur le jeu de guitare de Henrik Freischlader dans "The Lily" me paraît assez sévère. Ce que d'autres perçoivent comme un "surjeu" ou un solo "théâtral" nuisant à l'effet général, je le vois comme une audace assumée.
Pour moi, ce n'est pas un excès, mais une volonté de sortir des sentiers battus pour surprendre l'auditeur. Dans le contexte du blues, qui a des codes bien établis, s'en écarter pour injecter plus de créativité et d'intensité est une prise de risque que Freischlader a délibérément faite. Il a choisi d'explorer des sonorités et des dynamiques moins conventionnelles, quitte à dérouter les puristes.
Ce qui est jugé comme une "faiblesse" technique par certains est, pour moi, une force distinctive qui rend l'album plus intéressant et mémorable. Sa démarche artistique visait à laisser une empreinte forte, et cela a réussi. Cette divergence d'appréciation met en lumière la subjectivité de l'écoute musicale : l'authenticité et l'audace priment sur l'orthodoxie.
Je qualifie la production de l'album "The Lily" d'"artisanale", un terme évocateur qui suggère une approche plus directe et moins polie. Cela peut effectivement déplaire à ceux qui s'attendent à une sonorité très travaillée et "radio-friendly", avec des arrangements complexes, des mixages lisses, et une absence totale d'aspérités.
L'approche d'Henrik Freischlader est un choix assumé : en gérant presque tous les aspects instrumentaux et la production depuis son propre studio, il privilégie une vision artistique plutôt qu'un succès commercial massif. Cette approche est à double tranchant :
▪︎ Une force pour les puristes : Pour ceux qui recherchent l'authenticité, la spontanéité et un son plus "live", cette production artisanale renforce l'émotion brute de Layla Zoe.
▪︎ Une faiblesse pour les autres : Pour ceux qui préfèrent une production plus "professionnelle" et polie, cette approche peut être perçue comme un manque de maîtrise.
Le fait qu'Henrik Freischlader, musicien de renom, produise lui-même l'album renforce l'idée que le son "artisanal" de "The Lily" n'est pas un défaut, mais un choix délibéré et audacieux.
Dès la première écoute de "The Lily", j'ai été instantanément ébloui par la puissance vocale de Layla Zoe, que je percevais comme la résurrection de Janis Joplin. Au-delà de cette force brute, j'ai découvert une artiste d'une profondeur rare, une femme à la fois forte et fragile, qui partage ses émotions les plus intimes sans aucune concession.
L'album entier m'a évoqué l'esprit de la mythique Route 66 : sauvage et intense, mais aussi intime et secret. Il offre un voyage émotionnel brut, authentique et inoubliable, une expérience qui confirme l'originalité et le talent d'une artiste qui ne cherche pas à plaire à tout prix.
● Chapeau bas à Florianne et Gemini ! Si un jour Layla Zoe cherche des critiques moins 'sévères' et plus 'audacieuses', je saurai qui recommander... et je m'inclurais bien sûr dans le lot !

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