Les Enfants du Blues : Comment l'Angleterre a Réinventé un Son Américain

 


Dans les années 1950, le Chicago Blues était le style de blues dominant et le plus influent aux États-Unis. Né de la "Grande Migration" qui a vu les Afro-Américains quitter le Delta du Mississippi pour les villes industrielles du Nord comme Chicago, ce genre électrifié est rapidement devenu la bande-son des quartiers noirs de la ville. Des figures emblématiques telles que Muddy Waters, Howlin' Wolf ou Willie Dixon ont donné vie à cette musique.

Cependant, il est important de noter que son rayonnement international n'était pas encore massif à cette époque. Le blues, et le Chicago Blues en particulier, demeurait une musique profondément enracinée dans la culture afro-américaine et principalement consommée par cette communauté sur le territoire américain.

Bien que les disques fussent disponibles, leur diffusion et l'accès pour le grand public en dehors des États-Unis restaient limités. C'est seulement plus tard que son influence allait véritablement exploser au-delà des frontières américaines, notamment grâce à des événements et des acteurs clés.

À la fin des années 1950 et au tout début des années 1960, la musique américaine restait largement méconnue du grand public britannique. La scène locale était plutôt dominée par des genres populaires et plus grand public, qui filtraient l'influence du blues.

Voici les courants musicaux qui caractérisaient cette période :

▪︎ Le skiffle et le "trad jazz" : Avant l'explosion du rock'n'roll et du blues, le "trad jazz" (traditionnel, souvent inspiré du Dixieland de la Nouvelle-Orléans) était assez populaire. C'est surtout le skiffle, un genre acoustique simple inspiré du folk, du blues et du jazz, qui a connu un engouement énorme. Des artistes comme Lonnie Donegan ont connu un succès majeur avec des reprises de blues acoustique (notamment de Lead Belly). C'est par ce biais que beaucoup de jeunes musiciens britanniques, dont de futurs grands noms du rock, ont eu leur première exposition au son du blues, même s'il était dilué et adapté au goût du public.

▪︎ L'influence américaine filtrée : Le rock'n'roll américain, avec des stars comme Elvis Presley ou Buddy Holly, commençait à gagner en popularité, mais il s'agissait là aussi d'une version pop de la musique afro-américaine. Le blues profond, et particulièrement le Chicago Blues électrique, restait en grande partie inconnu du grand public.

▪︎ La pop domestique : La scène britannique produisait ses propres stars de la pop, avec des sons plus accessibles et souvent orientés vers le divertissement familial. Cliff Richard, par exemple, était une figure très populaire de cette époque.

C'est dans ce contexte de musique populaire filtrée que des passionnés et des musiciens avertis ont commencé à creuser plus profondément. Refusant de se contenter de ces versions édulcorées, ils partaient à la recherche des sources originales de cette musique.

Le début des années 1960 au Royaume-Uni a été une période de profonds changements socio-économiques. Après l'austérité de l'après-guerre, le pays a basculé dans une société plus moderne, marquée par une croissance économique et un optimisme général. C'est le passage de l' "âge de l'austérité" à l' "ère de l'abondance".

▪︎ Une société plus aisée et moderne : L'économie était en plein essor et le chômage restait faible. Les ménages britanniques ont commencé à s'équiper, signe d'une nouvelle prospérité et d'un désir de modernité. En 1962, par exemple, les deux tiers des foyers possédaient une télévision et la moitié une automobile. Les réformes sociales, comme le National Health Service (NHS), continuaient de se consolider, garantissant un accès plus large aux soins de santé et à l'éducation, ce qui améliorait la qualité de vie pour un grand nombre de personnes.

▪︎ Le pouvoir de la jeunesse : Le "baby-boom" d'après-guerre a donné naissance à une population jeune et nombreuse. Cette nouvelle génération, qui commençait à entrer dans l'âge adulte, affirmait ses propres goûts et identités, en rupture avec les générations précédentes. L'arrivée de la pilule contraceptive a également commencé à transformer les mœurs, ouvrant la voie à une plus grande liberté.

▪︎ Un pays en mutation et ouvert au monde : Bien que l'économie soit en croissance, certaines industries traditionnelles (sidérurgie, chantiers navals) connaissaient un déclin, poussant le pays à se réinventer. Parallèlement, le Royaume-Uni a vu une immigration importante, notamment en provenance des pays du Commonwealth (Caraïbes, sous-continent indien).

Cette diversification de la société, surtout dans les grandes villes comme Londres, a introduit de nouvelles influences culturelles, jouant un rôle majeur dans l'ouverture d'esprit de la jeunesse.

C'est dans ce contexte de relative prospérité et de profonds changements que la jeunesse britannique a développé sa propre identité culturelle. La mode (avec la minijupe de Mary Quant), la musique du "Swinging London" et un désir de non-conformisme ont émergé, créant un terrain fertile pour de nouvelles expressions artistiques et musicales. Le dynamisme et l'ouverture de cette période ont été cruciaux pour l'accueil de musiques nouvelles et "alternatives" comme le blues américain.

● Comment une musique aussi empreinte de mélancolie, de lutte et d'adversité que le blues a-t-elle pu trouver un écho et même prospérer dans une société britannique en pleine effervescence et relative prospérité ?

Intuitivement, on pourrait penser que le blues, avec ses racines dans la souffrance et les difficultés de la vie rurale afro-américaine, ne "collerait" pas à l'optimisme du Royaume-Uni des années 60. Pourtant, plusieurs facteurs expliquent pourquoi cette musique a séduit et s'est implantée, d'abord auprès d'une niche de passionnés.

▪︎ L'attrait de l'authenticité et de la "contre-culture" : Pour beaucoup de jeunes Britanniques, la musique pop de l'époque, bien que divertissante, pouvait sembler superficielle ou trop "commerciale". Le blues, en revanche, représentait une forme d'art brut, authentique et sans compromis. Il offrait une profondeur émotionnelle et une "vérité" que la musique populaire n'apportait pas toujours. C'était une musique "underground", un peu rebelle, qui attirait ceux qui cherchaient autre chose.

▪︎ L'exotisme et la "nouveauté" : Le blues venait d'un monde lointain et souvent fantasmé pour les jeunes Britanniques. Son son, ses structures et l'histoire qu'il véhiculait étaient radicalement différents de ce qu'ils entendaient à la radio. Cette nouveauté et cet exotisme étaient très attirants pour une jeunesse en quête de nouvelles sensations.

▪︎ Le "cool" et la rébellion : Bien que n'étant pas une musique de rébellion politique explicite, le blues portait en lui une forme d'indépendance et de "coolness" qui séduisait les adolescents et jeunes adultes. Elle était perçue comme une musique "adulte" et quelque peu dangereuse, par opposition aux idoles pop plus policées. Elle offrait une échappatoire et une identité distincte.

▪︎ Le rôle des "évangélistes" : Avant d'atteindre le grand public, le blues a d'abord été découvert par des collectionneurs de disques, des intellectuels et des musiciens de jazz. Ces premiers passionnés ont joué un rôle crucial en faisant circuler les disques et en partageant leur amour pour cette musique.

▪︎ Un terrain de jeu pour les musiciens : Pour les jeunes musiciens en particulier, le blues n'était pas seulement à écouter, c'était une base d'apprentissage. Sa structure, ses gammes et ses techniques de guitare offraient un nouveau vocabulaire musical qui contrastait avec les standards pop. Des artistes comme Eric Clapton, Jeff Beck ou John Mayall ont trouvé dans le blues une source d'inspiration inépuisable et un défi technique.

▪︎ La capacité d'adaptation du blues : Bien que le blues soit né de la souffrance, sa forme musicale est incroyablement adaptable. Les musiciens britanniques n'ont pas forcément cherché à "ressentir" la même souffrance que leurs homologues américains, mais ils ont pu s'approprier les thèmes universels de l'amour, de la perte ou du désir, qui peuvent résonner quelle que soit la prospérité économique.

En somme, plutôt que de s'implanter comme une musique de masse en phase avec l'optimisme général, le blues s'est d'abord développé comme une contre-culture musicale, une quête d'authenticité et une source d'inspiration pour une nouvelle génération de musiciens et d'auditeurs avides de quelque chose de différent. Son succès a été initialement "underground" avant de remonter à la surface via le British Blues Boom.

L'implantation du blues en Angleterre, bien que de niche au départ, n'aurait jamais eu lieu sans la curiosité insatiable et la persévérance de véritables mélomanes. Ces individus passionnés ont agi comme de véritables passeurs culturels, jetant des ponts entre les États-Unis et le Royaume-Uni.

Comment ont-ils fait ?

La principale source de cette révolution musicale était l'importation de disques américains. Des magasins comme Dobell's Record Shop à Londres sont devenus des lieux de pèlerinage pour les amateurs de blues, important directement des 78 tours et des LP souvent introuvables ailleurs. Ces disques étaient de véritables trésors pour ceux qui cherchaient les sons originaux de Muddy Waters, John Lee Hooker ou B.B. King.

En parallèle, des magazines et des fanzines spécialisés, souvent produits par des fans, ont commencé à apparaître. Ces publications contenaient des articles sur les artistes américains, des discographies et des critiques, jouant un rôle crucial dans l'éducation des auditeurs et des musiciens en herbe.

Avant que des clubs de blues ne se forment spécifiquement, le genre a trouvé refuge dans les clubs de jazz et de folk. Les passionnés de "trad jazz" et les skiffleurs, en ouvrant leurs portes à la musique "roots" américaine, ont créé des espaces où le blues pouvait être découvert et partagé. Des soirées dédiées et des jam sessions ont vu le jour, formant le noyau de la scène naissante. Le bouche-à-oreille a aussi joué son rôle : marins et soldats américains stationnés en Angleterre ramenaient parfois des disques, contribuant à une diffusion informelle.

Des figures clés comme Alexis Korner et Cyril Davies sont parmi les plus célèbres de ces pionniers. Ils étaient non seulement des musiciens talentueux, mais aussi des collectionneurs acharnés qui partageaient leurs découvertes avec ferveur. Leurs soirées d'écoute ont formé le cœur de la scène blues britannique.

Finalement, bien que plus tardives, les tournées d'artistes américains ont été cruciales. L'arrivée de légendes comme Howlin' Wolf ou Sonny Boy Williamson II a été un choc et une révélation pour les publics britanniques. Ces concerts ont validé les efforts des mélomanes et ont galvanisé une scène déjà prête à exploser.

C'est cette soif de connaissance et cette détermination à "creuser" au-delà des hits du moment qui a permis au blues de s'enraciner. Ces mélomanes ne se contentaient pas d'écouter, ils étudiaient la musique, imitaient les techniques et, au final, la réinterprétaient avec leur propre sensibilité.

L'importance cruciale d'Alexis Korner

Alexis Korner est une figure absolument centrale, souvent surnommée le "Père du blues britannique" ou l'"Éminence grise du blues anglais". Il a été, avec quelques autres, l'un des principaux architectes de l'implantation du blues en Angleterre. On ne peut toutefois pas parler de Korner sans évoquer son partenaire et co-fondateur de cette scène pionnière : Cyril Davies.

> Alexis Korner : le visionnaire et le catalyseur

Né en France mais élevé au Royaume-Uni, Alexis Korner (1928-1984) était un musicien, un collectionneur acharné de disques de blues américains, un animateur radio et télé, et surtout, un mentor et un carrefour pour une génération de jeunes musiciens.

▪︎ Le passionné et l'érudit : Korner était un fervent admirateur du blues américain, qu'il a découvert pendant la guerre. Il a passé des années à collectionner des disques rares, à étudier la musique et à en comprendre les racines. Il n'était pas seulement un musicien, mais un véritable historien et un évangéliste du genre.

▪︎ Le co-fondateur de clubs emblématiques : Avec Cyril Davies, il a été la force motrice de lieux mythiques qui sont devenus le berceau du blues britannique.

▪︎ The London Blues and Barrelhouse Club (dès 1957) : Situé au pub The Round House à Soho, ce club est devenu un point de rencontre crucial. Korner et Davies y jouaient et invitaient des artistes de blues américains de passage.

▪︎ The Ealing Club (ouvert en 1962) : Ce club est souvent considéré comme le véritable point de départ du British Blues Boom. C'est là que de jeunes musiciens comme Mick Jagger, Keith Richards, Eric Clapton, Jack Bruce, Charlie Watts, Ginger Baker, Rod Stewart et Pete Townshend venaient assister aux concerts, jammer, et s'imprégner du son du blues électrique.

▪︎ Le leader de Blues Incorporated : En 1961, Korner et Davies ont formé Blues Incorporated, un groupe au line-up fluctuant qui a servi de véritable "université du blues" pour de nombreux futurs grands noms du rock. C'était l'un des premiers groupes britanniques à jouer du blues électrique authentique, inspiré par le Chicago Blues. En tant que groupe résident du Ealing Club, ils ont exposé des dizaines de musiciens et de fans au son qui allait changer la face de la musique britannique.

▪︎ Le mentor et le connecteur : Korner avait une approche très ouverte et encourageait les jeunes musiciens. Il les laissait monter sur scène, les conseillait et les mettait en contact les uns avec les autres. Son influence sur la formation des Rolling Stones (qui se sont rencontrés au Ealing Club et ont vu Korner jouer), de Cream, des Yardbirds, de Fleetwood Mac et de bien d'autres est inestimable. Il a littéralement "lancé" les carrières de nombreux musiciens qui allaient devenir des superstars mondiales.

> Cyril Davies : Le puriste et l'harmoniciste

Cyril Davies (1932-1964) était le second pilier de cette entreprise. Moins connu du grand public aujourd'hui en raison de sa mort précoce, son rôle a été tout aussi fondamental, notamment pour son approche résolument puriste du blues.

▪︎ L'harmoniciste pionnier : Davies était un harmoniciste exceptionnel, profondément influencé par des figures du blues de Chicago comme Little Walter. Il a été l'un des premiers au Royaume-Uni à maîtriser le son de l'harmonica amplifié, une technique essentielle du Chicago Blues.

▪︎ La voix du "vrai" blues : Si Korner était plus éclectique dans ses goûts, Davies était un puriste intransigeant. Il insistait sur l'authenticité et la fidélité aux racines américaines. Cette tension créative entre les deux, tout en étant parfois une source de désaccord (ils se sépareront plus tard), a permis de maintenir le cap sur un blues "dur" et sans compromis

▪︎ Co-fondateur des clubs et de "Blues Incorporated" : Cyril Davies a été le partenaire de Korner dans la création et l'animation des clubs, ainsi que du groupe Blues Incorporated. Son expertise musicale et sa passion pour le Chicago Blues ont été des atouts majeurs.

▪︎ The Cyril Davies R&B All-Stars : Après avoir quitté Blues Incorporated en raison de divergences musicales (il souhaitait un son encore plus brut et moins orienté vers le jazz), Davies a formé son propre groupe, The Cyril Davies R&B All-Stars. Ce groupe a également eu une influence considérable, continuant à promouvoir un blues électrique sans concession.

En somme, Alexis Korner et Cyril Davies n'ont pas seulement joué du blues ; ils ont créé l'écosystème nécessaire à son épanouissement en Angleterre. Ils ont importé les disques, fondé des lieux, formé des musiciens et inspiré une génération entière. Sans leur dévouement et leur vision, le "British Blues Boom" n'aurait sans doute jamais eu la même ampleur.

L'influence d'Alexis Korner (et de Cyril Davies avant leur séparation) est incommensurable. Leurs clubs, et surtout le groupe Blues Incorporated, ont servi de véritable incubateur pour une constellation de jeunes musiciens qui allaient devenir les figures les plus emblématiques du rock britannique.

● Voici quelques-uns des grands noms qui ont fréquenté cet environnement stimulant :

▪︎ Mick Jagger et Keith Richards (The Rolling Stones) : Ils se sont rencontrés au Ealing Club et ont été profondément influencés par ce qu'ils y ont vu et entendu. Mick Jagger a même chanté occasionnellement avec Blues Incorporated avant que les Rolling Stones ne se forment. C'est à cet endroit que les membres fondateurs des Stones ont consolidé leur amour pour le blues et se sont décidés à lancer leur propre groupe de rhythm and blues.

▪︎ Charlie Watts (The Rolling Stones) : Avant de rejoindre les Rolling Stones, Charlie Watts était le batteur de Blues Incorporated. Son style, ancré dans le jazz et le blues, a posé les fondations rythmiques de ce groupe pionnier.

▪︎ Eric Clapton (The Yardbirds, John Mayall's Bluesbreakers, Cream) : C'est l'un des exemples les plus emblématiques. Clapton est une légende de la guitare blues, et son immersion dans le genre a largement commencé grâce à la scène créée par Korner et Davies. Il a même failli rejoindre Blues Incorporated avant de trouver sa voie.

▪︎ Jack Bruce et Ginger Baker (Cream) : Le bassiste Jack Bruce et le batteur Ginger Baker ont tous deux été membres de Blues Incorporated. Leur interaction musicale au sein de ce groupe a jeté les bases de leur future collaboration explosive au sein du trio Cream.

▪︎ Peter Green (Fleetwood Mac) : Guitariste de blues virtuose, Peter Green a fait ses débuts en côtoyant la scène d'Alexis Korner. Il est ensuite devenu le guitariste de John Mayall's Bluesbreakers (succédant à Clapton) avant de fonder le légendaire Fleetwood Mac, l'un des groupes les plus importants du British Blues.

▪︎ John Mayall (John Mayall's Bluesbreakers) : Surnommé l'un des "parrains" du blues britannique, John Mayall a également évolué dans cette mouvance. Son groupe a servi de tremplin à d'innombrables talents (Clapton, Green, Mick Taylor...), et sa contribution est indissociable de l'élan initié par Korner.

▪︎ Jimmy Page (Led Zeppelin) : Bien qu'il ait rejoint les Yardbirds un peu plus tard, Jimmy Page était également un habitué de la scène blues londonienne. L'influence d'Alexis Korner et de ce courant fut fondamentale pour la genèse de Led Zeppelin, qui a poussé le blues dans des sphères plus heavy et psychédéliques. Il a d'ailleurs participé à des hommages à Alexis Korner après sa mort.

▪︎ Rod Stewart : Avant son immense succès solo, Rod Stewart a fait ses armes sur la scène R&B et blues de Londres. Il a lui aussi fréquenté les lieux où Korner et Davies jouaient et a été membre du Hoochie Coochie Men de Long John Baldry, un proche de Korner.

▪︎ Nicky Hopkins : Ce pianiste de session légendaire, qui a joué avec les Rolling Stones, The Kinks et bien d'autres, a également évolué dans ces cercles. Son jeu de piano bluesy et expressif a certainement puisé une partie de son inspiration dans cette scène.

Ces musiciens ne venaient pas seulement écouter ; ils montaient sur scène pour jammer, apprendre et expérimenter. Les clubs d'Alexis Korner étaient de véritables laboratoires où le blues américain était disséqué, absorbé et finalement réinterprété avec une énergie et une sensibilité britanniques. C'est de là qu'est né le British Blues Boom.

Qui est le vrai "Père du British Blues" ?

Il est vrai que John Mayall est très souvent, et à juste titre, surnommé le "Père du British Blues" ou le "Godfather of British Blues". La raison principale est la longévité et l'influence de son groupe, les Bluesbreakers. Pendant des décennies, ce groupe a servi de véritable "école du blues", un tremplin où sont passés un nombre stupéfiant de musiciens qui sont devenus des stars mondiales : Eric Clapton, Peter Green, Mick Taylor, John McVie, Mick Fleetwood, entre autres. Mayall donnait une grande liberté à ses musiciens, les encourageant à développer leur propre style tout en restant fidèles à l'esprit du blues. De plus, les Bluesbreakers ont connu un succès commercial significatif, notamment avec l'album emblématique Blues Breakers with Eric Clapton.

Cependant, cette reconnaissance exclusive pour Mayall tend à occulter l'apport absolument fondamental et pionnier d'Alexis Korner et de Cyril Davies. C'est un manque de justice historique, et ce pour plusieurs raisons.

▪︎ L'antériorité : Korner et Davies ont commencé à promouvoir et à jouer le blues électrique bien avant que Mayall ne s'installe à Londres et ne forme les Bluesbreakers. Leurs clubs, comme le London Blues and Barrelhouse Club et le Ealing Club, ainsi que leur groupe Blues Incorporated, étaient déjà les hauts lieux du blues britannique naissant. John Mayall a lui-même reconnu l'influence de Korner et fréquentait le Ealing Club.

▪︎ Les créateurs de l'écosystème : Korner et Davies n'étaient pas de simples musiciens ; ils ont créé l'infrastructure nécessaire à l'épanouissement du blues. Ils ont ouvert les premiers clubs dédiés, importé les disques et organisé les jam sessions où les futurs grands noms se sont rencontrés et ont appris. Sans cet environnement, le British Blues Boom n'aurait tout simplement pas pu prendre une telle ampleur.

▪︎ Les "passeurs de flambeau" : Alexis Korner, en particulier, était un mentor et un catalyseur. Il a encouragé, conseillé et parfois même lancé des carrières, servant de pont entre les légendes américaines et les jeunes talents britanniques. Beaucoup de musiciens qui ont ensuite rejoint les Bluesbreakers de Mayall (ou d'autres groupes majeurs) ont d'abord été exposés et formés dans le sillage de Korner et Davies.

▪︎ L'influence sur les Rolling Stones : Les membres fondateurs des Rolling Stones (Jagger, Richards, Watts) ont tous été directement influencés par Alexis Korner et ses lieux. C'est la qu'ils ont consolidé leur amour pour le blues et ont décidé de former leur propre groupe. Les Stones ont ensuite popularisé le blues auprès d'un public bien plus large, un succès qui n'aurait pas été possible sans ce terreau initial.

Si John Mayall est le "père" pour avoir nourri et propulsé tant de talents vers la célébrité et pour avoir maintenu un groupe de blues de premier plan pendant des décennies, Alexis Korner et Cyril Davies sont davantage les "grands-pères" ou les "fondateurs". Ce sont eux qui ont planté la graine, préparé le terrain et bâti la maison où le blues a pu s'enraciner et grandir en Angleterre. C'est une nuance importante qui rend l'histoire du blues britannique encore plus riche. Sans les efforts pionniers de Korner et Davies, l'héritage de Mayall et de tant d'autres n'aurait pas été le même.

Il est exact de dire que le London Blues and Barrelhouse Club n'a pas eu une existence éternelle. Il a fonctionné de 1957 à 1961 au pub The Round House à Soho, et son importance est indéniable : il fut le tout premier club dédié au blues et a accueilli des légendes américaines de passage comme Big Bill Broonzy, Sonny Terry & Brownie McGhee, ou encore Muddy Waters. C'est là que Cyril Davies et Alexis Korner ont commencé à bâtir leur réputation et à fédérer une première audience de passionnés.

La raison de sa fermeture (et de son côté "éphémère") est liée à l'évolution des goûts des fondateurs eux-mêmes, ainsi qu'à celle de la scène naissante.

Initialement, le club était davantage orienté vers le blues acoustique ("barrelhouse" faisant référence aux lieux où le blues était joué avec des pianos et des instruments non amplifiés). Cependant, Korner et Davies ont rapidement été attirés par le son plus puissant et moderne du Chicago Blues électrique. Cette transition vers l'amplification n'était pas toujours bien accueillie par les puristes du jazz traditionnel et du folk qui fréquentaient le Round House.

Pour pleinement embrasser ce son électrique, Alexis Korner et Cyril Davies ont formé le groupe Blues Incorporated en 1961. L'année suivante, en 1962, ils ont ouvert le célèbre Ealing Club. Contrairement à son prédécesseur, ce nouveau lieu était conçu dès le départ pour accueillir et amplifier le son du blues électrique. C'est là que l'explosion du British Blues a véritablement commencé, avec l'afflux des jeunes musiciens qui allaient devenir les stars que l'on connaît.

En somme, le London Blues and Barrelhouse Club n'a pas "échoué". Il a plutôt servi de laboratoire initial. Sa courte durée de vie a été suffisante pour semer les graines et prouver l'existence d'un public. Sa fermeture a en fait marqué une évolution naturelle vers un format plus adapté au son que Korner et Davies voulaient développer, un son qui allait définir le British Blues Boom. Le relais a été pris par l'Ealing Club, dont l'influence a été démultipliée.

Une fois que des figures comme Alexis Korner et Cyril Davies ont prouvé l'existence d'un public et d'une ferveur pour le blues, et que des lieux comme l'Ealing Club ont montré la voie, de nombreux autres clubs dédiés au rhythm and blues et au blues ont commencé à surgir partout au Royaume-Uni. Ce phénomène, crucial pour l'épanouissement du British Blues Boom, s'explique par plusieurs facteurs.

▪︎ Des scènes pour les groupes émergents : Ces clubs offraient aux jeunes musiciens des lieux pour jouer, expérimenter et développer leur son. Ils sont devenus de véritables tremplins, donnant aux centaines de jeunes passionnés l'opportunité de se produire, d'apprendre sur scène et de se faire un nom.

▪︎ Des lieux de rencontre et de collaboration : Plus que de simples salles de concert, ces clubs étaient de véritables points de ralliement. Les musiciens s'y retrouvaient, jammaient ensemble, partageaient des disques rares et discutaient de techniques. C'est dans ces endroits que se sont formés les futurs grands groupes, souvent à partir de rencontres fortuites ou de musiciens qui se séparaient pour en créer de nouveaux.

▪︎ Un public dévoué et en croissance : La multiplication de ces lieux a permis de créer une base de fans solide et fidèle. Le public, souvent composé de jeunes avides de nouveauté, de musiciens en herbe et de collectionneurs, a fourni un soutien essentiel à la scène naissante.

▪︎ Une saine émulation créative : La multiplication des clubs a naturellement créé une saine compétition entre les groupes. Chacun cherchait à perfectionner son art et à se démarquer, ce qui a tiré la qualité musicale vers le haut et a encouragé l'innovation.

En somme, ces clubs ne se sont pas contentés d'accueillir des concerts ; ils ont été le moteur d'un mouvement qui allait transformer la musique britannique. Ils ont créé un réseau vital où la passion du blues s'est transformée en une véritable force culturelle.

Les clubs mythiques du British Blues Boom

Outre l'Ealing Club, de nombreux autres clubs ont joué un rôle crucial dans l'essor du British Blues Boom, en particulier le légendaire Marquee Club.

▪︎ Le Marquee Club : un tremplin pour les légendes

Bien que l'Ealing Club ait été le point de rencontre initial pour la scène et le berceau de Blues Incorporated, le Marquee Club est rapidement devenu un lieu incontournable. Fondé par Harold Pendleton en 1958, il a d'abord accueilli des légendes du jazz avant de s'ouvrir au rhythm and blues et, par extension, au blues électrique, dès le début des années 1960.

La réputation du Marquee repose sur le fait qu'il a vu débuter ou se produire à leurs premières heures un nombre incroyable d'artistes qui sont devenus des superstars mondiales. C'était un passage obligé, le lieu où il fallait jouer pour se faire remarquer.

▪︎ Le creuset des talents : Le Marquee n'était pas seulement une salle de concert, c'était un laboratoire et un point de ralliement. Les musiciens s'y produisaient, mais ils y allaient aussi en spectateurs pour voir les autres groupes, apprendre et créer des liens.

▪︎ Un lieu de consécration : Pour les jeunes groupes de R&B et de blues, jouer au Marquee était une marque de reconnaissance, un signe qu'ils faisaient partie de la scène qui comptait.

▪︎ La diversité des styles : Ancré dans le jazz et le R&B au début, le Marquee a su évoluer en embrassant tous les courants musicaux, du rock psychédélique au hard rock, ce qui a consolidé son statut légendaire.

● Parmi les nombreux artistes qui y ont fait leurs premières armes, on retrouve une liste impressionnante :

▪︎ The Rolling Stones : Leurs premières performances significatives en tant que groupe de blues/R&B ont eu lieu au Marquee, juste après l'Ealing Club.

▪︎ The Yardbirds : Avec des guitaristes comme Eric Clapton, Jeff Beck et Jimmy Page, ils y ont affûté leur son blues-rock.

▪︎ The Who : Avant de devenir des icônes du mod rock, ils ont développé leur énergie scénique explosive sur cette scène.

▪︎ Cream : Ce trio de légende a joué ses premiers concerts au Marquee.

▪︎ Led Zeppelin, David Bowie, Jimi Hendrix Experience : Tous ont foulé les planches du club à leurs débuts.

▪︎ Manfred Mann : Ce groupe de R&B y a joué un nombre record de fois entre 1962 et 1976.

Le Marquee Club est un pilier indéniable du British Blues Boom et du développement du rock. Il a offert une plateforme essentielle pour la réinterprétation et la popularisation du blues américain par les talents britanniques.

● Les autres clubs qui ont fait la scène

La scène ne se limitait pas aux lieux les plus célèbres. D'autres clubs et pubs ont également été essentiels.

▪︎ Le Crawdaddy Club (Richmond) : Fondé par Giorgio Gomelsky, ce club a été la résidence des Rolling Stones avant leur explosion, puis des Yardbirds. C'était un lieu essentiel pour l'énergie brute du R&B.

▪︎ Le Flamingo Club (Londres) : Situé à Soho, ce club a joué un rôle important dans la fusion des sons blues et soul, attirant une clientèle diverse.

▪︎ Les pubs de l'Est de Londres et d'ailleurs : Au-delà des grands noms, de nombreux pubs à travers le Royaume-Uni ont organisé des soirées R&B et blues. Ces lieux, souvent plus informels, étaient vitaux pour le  développement de la scène locale.

Cette prolifération de clubs a créé un véritable écosystème qui a permis au blues de passer du statut de "musique de niche pour initiés" à un phénomène culturel capable de générer des groupes à succès planétaire. C'est dans ces ambiances enfumées et électrisantes que le son du blues a été réinterprété et propulsé vers une nouvelle ère.

L'alchimie britannique du blues : comment Korner et Davies ont transformé le son

C'est là que réside le génie d'Alexis Korner et de Cyril Davies, et, par extension, de toute la scène britannique qu'ils ont influencée. Ils n'ont pas simplement copié le blues américain ; ils l'ont absorbé, interprété et adapté pour créer un son distinctement britannique, tout en restant fidèles à l'esprit originel.

● Voici comment ils ont opéré cette transformation :

▪︎ L'électrification et l'amplification : une priorité Le Chicago Blues était déjà électrique, mais Korner et Davies ont pleinement embrassé l'amplification, la poussant souvent à l'extrême. Ils ont compris que pour faire résonner le blues dans les clubs de Londres et capter l'attention d'un public jeune habitué au rock'n'roll, il fallait de la puissance. Cela a donné au blues britannique naissant une énergie brute et une intensité qui tranchaient avec le son plus "propre" de la pop de l'époque. La guitare électrique saturée et l'harmonica amplifié sont devenus des piliers sonores du genre.

▪︎ L'accent sur la guitare soliste : du rythme au "guitar-hero" Alors que le blues américain traditionnel mettait souvent l'accent sur le chant et un accompagnement rythmique solide, les musiciens britanniques, influencés par des figures comme B.B. King mais aussi par le rock'n'roll, ont mis un accent particulier sur le rôle du guitariste soliste. Cette approche a ouvert la voie à l'émergence de "guitar-heroes" comme Eric Clapton, Jeff Beck ou Peter Green, dont les solos improvisés sont devenus des éléments centraux et captivants des morceaux.

▪︎ L'influence du rock'n'roll et du skiffle : une énergie plus juvénile Les musiciens britanniques qui ont découvert le blues avaient souvent des racines dans le skiffle ou le rock'n'roll. Ils ont infusé cette énergie, et parfois un tempo plus rapide, dans le blues. Le blues britannique a ainsi souvent eu une pulsion rythmique plus propulsive et "rock" que certaines de ses contreparties américaines, le rendant plus accessible et dansant pour un public jeune.

▪︎ Le choix des répertoires : une sélection ciblée Korner et Davies ne reprenaient pas tous les morceaux de blues indifféremment. Ils se concentraient sur des titres percutants de blues électrique de Muddy Waters, Howlin' Wolf, John Lee Hooker et Elmore James, qui avaient une force rythmique et des riffs mémorables. En se focalisant sur les morceaux les plus puissants et les plus "rock", ils ont créé un répertoire à la fois authentique et immédiatement attrayant.

▪︎ Une emphase moindre sur les paroles de souffrance : Si les musiciens britanniques respectaient les paroles originales, l'expérience vécue de la ségrégation ou de la pauvreté du Delta n'était pas la leur. Ils ont donc mis davantage l'accent sur les aspects musicaux (le groove, les riffs, les solos) que sur la narration lyrique profonde et douloureuse. Cela a permis au public de se connecter à la musique sans avoir à s'identifier directement aux contextes sociaux spécifiques de son origine, rendant le blues plus universel dans son attrait.

▪︎ L'intégration du Rhythm and Blues (R&B) : Alexis Korner, en particulier, était très ouvert aux influences du R&B (Ray Charles, James Brown) et du jazz. Cette fusion avec des éléments de la musique soul et R&B a donné au blues britannique une richesse supplémentaire. C'est pourquoi le "British Blues" est souvent indissociable du "British R&B" des premières heures, un mélange qui a contribué à diversifier le son et à le rendre encore plus dynamique.

En somme, Korner et Davies ont agi comme des filtres et des amplificateurs. Ils ont pris le blues américain, l'ont passé au travers d'une lentille britannique nourrie de rock'n'roll et d'une passion pour le son électrique, et l'ont restitué avec une énergie nouvelle et une emphase instrumentale distincte, tout en conservant l'âme essentielle du genre.

L'adaptation du blues sur le sol britannique s'est faite avec une rapidité étonnante. Le British Blues Boom a effectivement servi de porte d'entrée majeure pour le blues en Europe, agissant comme un véritable catalyseur pour sa mondialisation.

Une adaptation rapide et fertile

L'assimilation et la réinterprétation du blues par les musiciens britanniques ont été incroyablement rapides. En quelques années seulement, entre 1961 (avec la formation de Blues Incorporated) et 1964-1965 (avec l'explosion internationale des Rolling Stones et des Yardbirds), le son a été maîtrisé, adapté, et propulsé sur le devant de la scène. Cette rapidité s'explique par plusieurs facteurs :

▪︎ Un enthousiasme dévorant : Les jeunes musiciens n'étaient pas de simples interprètes, mais des étudiants assidus du genre.

▪︎ Un écosystème propice : Les clubs, les magasins de disques spécialisés et les mentors comme Alexis Korner ont créé un environnement idéal pour l'apprentissage et l'expérimentation.

▪︎ Une soif de nouveauté : Le public jeune britannique était prêt pour un son plus brut et authentique que la pop dominante de l'époque.

Le blues s'exporte en Europe

C'est là que l'impact du British Blues Boom devient global. Avant l'arrivée des groupes britanniques, le blues américain était peu connu du grand public européen, restant l'apanage de collectionneurs et de cercles de jazz très spécialisés.

▪︎ Un succès commercial fulgurant : Des groupes comme les Rolling Stones, les Animals et, plus tard, Cream ou Led Zeppelin ont connu un succès commercial phénoménal en Europe et aux États-Unis. Leurs disques se vendaient par millions, et leurs tournées remplissaient les plus grandes salles.

▪︎ Un son plus "accessible" : Le blues britannique, avec son énergie rock, ses "guitar-heroes" et son approche souvent plus directe, était plus digeste pour un public non-initié que le blues américain traditionnel. Il a agi comme un pont, rendant le genre moins "exotique" et plus immédiat.

L'intérêt retourné vers les origines

Le succès des groupes britanniques a paradoxalement incité un public plus large à remonter à la source. Beaucoup de fans, après avoir découvert les Stones ou Clapton, ont cherché les disques de Muddy Waters, Howlin' Wolf ou John Lee Hooker. Des artistes américains qui peinaient à remplir des salles aux États-Unis ont soudainement trouvé un public fervent en Europe grâce à l'intermédiaire des Britanniques. Les tournées de blues américains en Europe, comme l'American Folk Blues Festival, ont bénéficié de cet engouement et ont exposé ces légendes à des milliers de fans qui n'auraient jamais eu accès à cette musique autrement.

La mondialisation du blues

Le British Blues Boom a été un tremplin majeur pour la mondialisation du blues.

▪︎ La "réimportation" aux États-Unis : L'ironie de l'histoire est que des groupes britanniques ont "ramené" le blues aux États-Unis, où beaucoup de jeunes Américains blancs le découvraient pour la première fois via ces groupes anglais. Les Rolling Stones, par exemple, ont introduit le Chicago Blues à une génération qui n'y avait pas été exposée.

▪︎ Un héritage pour le rock mondial : Le blues britannique a jeté les bases du rock tel que nous le connaissons. Il a montré comment une musique "roots" pouvait être amplifiée, réinterprétée et devenir un phénomène mondial, influençant directement des groupes partout sur la planète.

Les efforts pionniers de Korner, Davies et de toute la scène britannique n'ont pas seulement enraciné le blues au Royaume-Uni ; ils l'ont projeté sur la scène mondiale, assurant sa survie, sa transformation et son immense influence sur des décennies de musique populaire.

L'un des aspects les plus fascinants et touchants de la naissance du British Blues est le fait que ces jeunes musiciens, alors de parfaits inconnus, ne se doutaient absolument pas de l'impact monumental qu'ils allaient avoir, non seulement sur la scène britannique, mais aussi et surtout sur la musique mondiale.

● Imaginez la scène :

- De jeunes gens comme Mick Jagger et Keith Richards, fans de blues puristes, se rencontrent et se lient d'amitié grâce à leur amour partagé pour des artistes comme Muddy Waters et Chuck Berry.

- Un adolescent comme Eric Clapton passe des heures à déchiffrer les notes de ses idoles blues sur des disques importés, rêvant de maîtriser la guitare comme B.B. King ou Freddie King.

- Charlie Watts, un batteur de jazz plus intéressé par Gene Krupa que par les tubes du moment, se retrouve à poser les fondations rythmiques d'un groupe de R&B électrique.

- Alexis Korner et Cyril Davies, des passionnés presque solitaires, créent des clubs dans l'espoir de partager leur musique favorite avec quelques initiés.

Ils étaient animés par une passion pure et désintéressée pour le blues. Pour eux, il s'agissait de jouer la musique qu'ils aimaient, de repousser les limites de ce qui était populaire et de se connecter à une forme d'art qu'ils trouvaient authentique et puissante. Il n'y avait pas de plan marketing global, pas d'anticipation de vendre des millions de disques ou de devenir des icônes culturelles. C'était une quête artistique et une expérimentation.

● Pourtant, de cette humble origine, de ces jam sessions dans de petits clubs enfumés, allait naître un mouvement qui allait :

- Façonner le son du rock pour des décennies.

- Influencer des milliers de groupes à travers le monde.

- Propulser des musiciens au rang de superstars planétaires, dont beaucoup sont encore vénérés aujourd'hui.

- Ramener le blues à l'attention du monde entier, lui offrant une nouvelle vie et une nouvelle audience bien au-delà de ses racines.

C'est une histoire remarquable de la façon dont la passion et la persévérance d'un petit groupe d'individus peuvent avoir des répercussions inattendues et sismiques sur la culture mondiale. Ils ont cherché l'authenticité et ont, sans le savoir, créé la légende.

Un destin tragique : le décès prématuré de Cyril Davies

C'est un point très poignant de l'histoire du blues britannique. Cyril Davies est décédé bien trop jeune, le 7 janvier 1964, à l'âge de 31 ans, des suites d'une leucémie.

Son décès prématuré est d'autant plus tragique qu'il l'a empêché d'être le témoin direct de l'explosion et de la mondialisation du British Blues qu'il avait tant contribué à initier. Alors que des groupes comme les Rolling Stones, les Yardbirds et les Animals commençaient tout juste à connaître un succès retentissant en 1964 et les années suivantes, Davies, l'un des pionniers les plus ardents et puristes du genre, n'était plus là pour en profiter pleinement.

Malgré sa fin tragique et précoce, l'héritage de Cyril Davies est colossal et continue d'influencer la musique. Son jeu d'harmonica unique et sa passion intransigeante pour le Chicago Blues ont marqué tous ceux qui l'ont côtoyé ou écouté. Des musiciens de renom comme Jeff Beck, Nicky Hopkins ou Long John Baldry ont fait partie de son groupe, le Cyril Davies R&B All-Stars, après sa séparation d'avec Alexis Korner, et ont continué de porter son flambeau.

Son rôle de co-fondateur du Ealing Club et de Blues Incorporated, ainsi que sa détermination à faire entendre un blues électrique authentique, sont des pierres angulaires de ce qui allait devenir le British Blues Boom. Il a jeté les bases sans lesquelles le phénomène n'aurait pas eu la même ampleur.

C'est une illustration amère que parfois, les architectes d'un mouvement ne sont pastoujours ceux qui en récoltent les fruits les plus visibles ou qui vivent assez longtemps pour voir leur vision se réaliser pleinement. Son absence au sommet du succès du British Blues est une perte pour la musique, mais son influence perdure à travers tous les artistes qu'il a inspirés.

La passion, même dans l'ombre, peut laisser des traces indélébiles et positives dans l'histoire. L'héritage d'Alexis Korner et de Cyril Davies est bel et bien reconnu à Londres, même si ce n'est pas sous la forme de statues grandioses. Le principal mémorial qui honore leur contribution et le lieu de naissance du British Rhythm and Blues est l'Ealing Club lui-même.

L'Ealing Club : un mémorial vivant

L'Ealing Club, situé au 42a The Broadway, Ealing, n'est plus un club de blues au sens strict aujourd'hui (il est connu sous le nom de The Red Room), mais son importance historique est officiellement reconnue.

▪︎ Une Plaque Bleue Commémorative : Le 17 mars 2012, exactement 50 ans après son ouverture par Alexis Korner et Cyril Davies, une Plaque Bleue a été dévoilée sur le site. Ces plaques, gérées par English Heritage, sont une forme de mémorial très respectée au Royaume-Uni. Celle-ci commémore le début du British Rhythm and Blues sur ce site, en présence de Bobbie Korner (la veuve d'Alexis) et de Charlie Watts des Rolling Stones.

▪︎ Des festivals et événements : L'esprit du Ealing Club est maintenu vivant par des festivals et des événements musicaux qui célèbrent son héritage et le blues britannique, comme le Ealing Blues Festival qui a lieu chaque année. Le site web de l'Ealing Club est également une ressource très active pour l'histoire et les événements liés au club.

Même si le London Blues and Barrelhouse Club a été plus éphémère et que son bâtiment est devenu plus tard une salle de concert emblématique, c'est bien l'Ealing Club qui est devenu le symbole tangible et le point de référence de cette période fondatrice.

C'est une reconnaissance bien méritée pour ces deux figures qui ont tant donné pour cette musique et cette scène. Ils ne sont peut-être pas aussi célèbres que les Rolling Stones ou Eric Clapton, mais leur place dans l'histoire est gravée dans le marbre, ou plutôt, sur une plaque bleue !




















● Et voilà, grâce à Florianne et Gemini, nous avons enfin compris comment le blues, né dans la poussière du Mississippi, a fini par faire groover les clubs londoniens avant de conquérir le monde... le tout sans jamais avoir eu besoin d'un parapluie pour la pluie anglaise !

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