Les Rolling Stones : L'Âge d'Or, la Crise et la Résurrection (1970-1989)


 

La décennie 1970 s'ouvre sur un monde en pleine mutation, très éloigné des espoirs utopiques de la fin des années 1960. Les Rolling Stones, à l'image de la société occidentale, doivent alors naviguer dans un nouveau paysage, marqué par la désillusion et l'incertitude.

Le festival d'Altamont en décembre 1969 n'a pas été un incident isolé. Il a symbolisé de manière brutale la fin du "Summer of Love" et l'effondrement de l'idéal hippie. L'innocence des années 60, empreinte d'un désir de paix et de liberté, cède la place à une réalité plus dure, parfois violente. On passe du rêve psychédélique aux dures désillusions.

La mort de Meredith Hunter à Altamont, tragiquement filmée dans le documentaire "Gimme Shelter", matérialise cette violence inattendue au cœur d'un événement censé être festif et pacifique. C'est un miroir sombre de la perte d'innocence collective.

La guerre du Vietnam continue de faire rage, divisant profondément les sociétés occidentales. Les manifestations anti-guerre sont massives, et la contestation gagne en radicalité. La violence politique est palpable, comme en témoigne la tragique fusillade de Kent State aux États-Unis en 1970.

Parallèlement, la montée du terrorisme secoue l'Europe, avec l'émergence de groupes comme la Fraction armée rouge en Allemagne ou les Brigades rouges en Italie, semant la peur et l'instabilité.

Les années 70 sont également marquées par des bouleversements économiques majeurs. Le premier choc pétrolier de 1973 est un événement majeur qui a des conséquences économiques profondes et durables, sonnant le glas des "Trente Glorieuses", cette période de forte croissance économique après la Seconde Guerre mondiale.

L'augmentation du prix de l'essence, l'inflation galopante et la montée du chômage mettent les gouvernements face à de nouvelles contraintes. Cette situation affecte directement le pouvoir d'achat, les loisirs, et génère un climat général d'incertitude.

Vers la fin des années 70 et le début des années 80, on assiste à l'émergence de politiques économiques plus libérales, avec des figures comme Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis. Ce néolibéralisme se caractérise par un désengagement de l'État, des privatisations et une lutte accrue contre les syndicats, transformant en profondeur

le paysage social et l'accès à la culture. Sur le plan musical, le rock psychédélique et progressif s'essouffle, laissant place à de nouveaux genres plus directs et contestataires. Au début des années 70, le Glam Rock (David Bowie, T. Rex) capte l'attention, avant que le Punk Rock (Sex Pistols, The Clash) n'explose au milieu de la décennie, comme une réaction violente au rock établi.

Parallèlement, le Disco (Donna Summer, Bee Gees) envahit les pistes de danse. Ces évolutions poussent les groupes établis comme les Rolling Stones à se réinventer ou à intégrer de nouvelles sonorités pour rester pertinents. La fin des années 70 voit également l'émergence du vidéoclip (dont MTV sera le fer de lance dès 1981) et de la culture de l'image, transformant radicalement la promotion musicale. Les artistes ne sont plus seulement des musiciens ; ils doivent aussi être des "performers" visuels, et les tournées deviennent de plus en plus des événements grandioses, des spectacles à part entière.

● Le spectacle du 6 décembre 1969 à Altamont fut bien plus qu'un concert raté ; ce fut une expérience traumatisante qui laissa des cicatrices profondes sur les Rolling Stones.

Habitué à l'agitation des concerts, le groupe fut pourtant dépassé par la violence brute, chaotique et mortelle d'Altamont. Assister à des bagarres, voir des armes brandies et, finalement, la mort de Meredith Hunter se produire à quelques mètres de la scène, en plein concert, fut un choc immense. Mick Jagger, en particulier, fut visiblement ébranlé, comme en témoignent les images du film "Gimme Shelter", où on le voit tenter désespérément de calmer la foule et de comprendre ce qui se passe.

Les Stones, qui avaient toujours cultivé une image de "bad boys" et de rebelles, furent confrontés à la réalité brutale des conséquences parfois incontrôlables de cette image. Malgré eux, ils se retrouvèrent au centre d'une tragédie, accusés par certains d'avoir créé les conditions du chaos ou d'avoir fait preuve d'irresponsabilité. Cela força le groupe à une introspection et une remise en question de leur influence et de leur responsabilité en tant qu'icônes culturelles.

Pour eux, Altamont fut la mort symbolique du "Summer of Love" et de l'idéal de liberté des grands festivals. Ils avaient cru, comme beaucoup, en la possibilité d'événements massifs et gratuits empreints de paix et d'amour. Altamont démystifia brutalement cette utopie, les confrontant à la noirceur et à la fragilité de l'ordre social. Keith Richards a souvent évoqué ce jour comme le moment où "tout le monde a arrêté de faire la fête".

L'expérience d'Altamont rendit le groupe beaucoup plus prudent et exigeant quant à l'organisation de leurs futurs concerts, notamment en matière de sécurité. Ils durent repenser la logistique et le contrôle des foules pour éviter de revivre un tel cauchemar. Bien que les Stones n'en aient pas parlé en détail à l'époque (ils étaient connus pour leur stoïcisme), il est indéniable qu'une telle expérience laissa des séquelles. Le film "Gimme Shelter" capte parfaitement leur consternation et leur effroi. Mick Jagger, en visionnant les images du meurtre de Meredith Hunter, apparaît profondément perturbé et marqué.

En bref, Altamont fut un coup de massue pour les Rolling Stones, les forçant à grandir brutalement. Ils durent affronter les conséquences de leur notoriété et naviguer dans un monde où les lignes entre liberté et chaos s'étaient dangereusement estompées. Cela a profondément influencé leur approche de la musique, des tournées et de leur propre identité dans les années 70.

Le traumatisme d'Altamont n'est pas resté confiné à la mémoire des membres du groupe ; il a façonné activement leurs décisions et leur approche du métier dans les années qui ont suivi.

Altamont a définitivement mis fin à l'ère des mégas-festivals gratuits, du moins pour les Stones. Le modèle de Woodstock, basé sur la confiance mutuelle et une sécurité informelle, a été jugé trop risqué. Le groupe a tiré la leçon amère qu'un contrôle professionnel et rigoureux était désormais indispensable.

Pour leurs tournées suivantes (comme l'"Exile on Main St. Tour" en 1972 ou le "Tour of the Americas '75"), la planification est devenue beaucoup plus complexe et sécurisée. Ils ont investi massivement dans des équipes de sécurité privées, des clôtures robustes, des contrôles d'accès stricts et une coordination étroite avec les autorités locales.

Si avant Altamont, il y avait une certaine proximité, parfois une forme de camaraderie avec le public, le drame a instauré une distance plus professionnelle. La sécurité était désormais une priorité absolue, même si cela pouvait parfois créer une barrière physique et psychologique entre le groupe et ses admirateurs.

Pour certains fans, Altamont a brisé une certaine idéalisation du groupe et des mouvements de contre-culture. Le rêve de communion parfaite s'est effondré. Pour les Stones, il y a eu une prise de conscience des dangers inhérents aux foules massives et de l'impossibilité de contrôler des milliers d'individus.

Le groupe a fait face à des critiques intenses, certains les blâmant pour la mort de Meredith Hunter ou pour leur gestion de la sécurité. Bien que les enquêtes n'aient pas retenu leur responsabilité directe, cette période a terni leur image aux yeux d'une partie du public et des médias. Ils ont dû gérer une crise de réputation significative.

Paradoxalement, pour d'autres, Altamont a renforcé leur image sombre et dangereuse. Ils n'étaient plus juste des rebelles "cool", mais des figures associées à une réalité plus violente et incontrôlable du rock. Cette perception a pu contribuer à leur aura, mais aussi à une certaine "peur" qu'ils pouvaient inspirer.

Bien que cela soit plus difficile à mesurer directement, l'atmosphère post-Altamont de désillusion et de réalisme a pu influencer l'écriture de certains titres. Les paroles sont devenues plus cyniques ou introspectives, reflétant une certaine perte d'innocence.

Les années 70 verront les Stones explorer des sons plus bruts, moins "flower power", comme en témoignent la pochette sombre et le son "grung[e]" de "Sticky Fingers" et d'"Exile on Main St.", qui contrastent avec les couleurs psychédéliques de leurs albums précédents comme "Their Satanic Majesties Request".

En somme, Altamont n'a pas été un simple incident, mais un catalyseur qui a forcé les Rolling Stones à mûrir brutalement, à professionnaliser leurs opérations et à naviguer dans un monde où la rébellion adolescente avait laissé place à des enjeux plus complexes et potentiellement mortels. C'est un point de bascule fondamental pour comprendre leur parcours dans les décennies suivantes.

Le désenchantement d'Altamont et le nouveau climat socio-politique trouvent un écho profond dans les affaires internes des Rolling Stones. Alors que le monde changeait, le groupe aspirait lui aussi à une nouvelle forme de liberté, loin des contraintes contractuelles qui avaient régi la première partie de sa carrière. Ce début des années 70 fut donc marqué par une décision stratégique majeure : la rupture avec leur label historique, Decca Records.

Decca Records (et sa filiale américaine London Records) avait signé les Rolling Stones en 1963, alors qu'ils n'étaient que de jeunes loups du blues-rock. C'était un contrat typique de l'époque, souvent très avantageux pour le label et beaucoup moins pour les artistes, surtout en matière de droits d'auteur et de propriété des masters (les enregistrements originaux).

À mesure que les Stones sont devenus le "plus grand groupe de rock du monde", ils ont pris conscience de la valeur immense de leur catalogue et du fait que Decca en était le principal bénéficiaire. Ce contrat limitait drastiquement leur contrôle artistique et financier sur leurs propres créations.

Un problème supplémentaire persistait : leur ancien manager, Allen Klein, avait renégocié certains aspects de leurs accords dans les années 60, mais avait également acquis les droits sur leur catalogue pré-1971 pour sa société ABKCO. Cela signifiait que même après la fin de leur contrat avec Decca, ils n'auraient pas la pleine maîtrise de leurs œuvres passées, ce qui était une frustration majeure. Le désir de se libérer de l'emprise de Klein (et donc d'ABKCO) était une motivation supplémentaire pour une indépendance totale.

À la fin des années 60, alors que leur contrat approchait de son terme (il expirait en 1970 ou 1971 selon les accords exacts), les Stones étaient déterminés à ne pas le renouveler. Les discussions furent âpres ; ils ne voulaient plus être de simples employés d'une maison de disques.

La rupture avec Decca n'était pas seulement une affaire d'argent ; c'était une déclaration d'indépendance artistique et commerciale. C'était une manière de reprendre le contrôle de leur destinée après des années où d'autres (labels, managers comme Klein) avaient tiré profit de leur talent.

En 1971, les Rolling Stones firent un pas révolutionnaire pour un groupe de leur stature à l'époque : ils fondèrent leur propre label, Rolling Stones Records. C'était une décision audacieuse qui leur conférait une autonomie sans précédent.

Le logo de la langue et des lèvres, emblème iconique du groupe (initialement créé par John Pasche pour la pochette de Sticky Fingers), fut lancé avec ce label. Il devint rapidement le symbole reconnaissable de leur liberté d'expression et de leur audace.

● Cette indépendance se traduisait concrètement par plusieurs avantages :

▪︎ Contrôle artistique total : Ils pouvaient désormais décider eux-mêmes de leurs dates de sortie, du contenu de leurs albums, de leurs pochettes, sans l'ingérence d'un label.

▪︎ Maîtrise financière accrue : Ils touchaient une part bien plus importante des revenus générés par leurs ventes, leurs tournées et les produits dérivés.

▪︎ Construction d'un nouveau catalogue : Bien que le problème avec ABKCO sur le catalogue antérieur ait persisté, ils pouvaient désormais bâtir un nouveau catalogue dont ils seraient les seuls propriétaires.

La création de Rolling Stones Records n'était pas qu'une formalité administrative ; elle a profondément influencé leur production des années 70. Cette liberté retrouvée leur a permis d'expérimenter davantage, de prendre des risques artistiques et de produire des albums sans les compromis dictés par des impératifs commerciaux externes.

Le premier album publié sous ce nouveau label, "Sticky Fingers" (1971), est le parfait exemple de cette liberté retrouvée, marquant le début d'une nouvelle ère sonore et visuelle pour le groupe.

Cette rupture et cette nouvelle indépendance sont des piliers fondamentaux pour comprendre la direction que le groupe prendra au cours des années 70. Pour de nombreux critiques et fans, l'arrivée de Mick Taylor en 1969 et son apport jusqu'en 1974 ont marqué l'apogée créative et l'âge d'or musical des Rolling Stones. Loin des turbulences externes, une alchimie musicale exceptionnelle opérait au sein du groupe, propulsée par l'arrivée de ce jeune guitariste virtuose. Son intégration a redéfini le son des Stones, les menant, pour beaucoup, vers des sommets artistiques inégalés.

Mick Taylor a rejoint le groupe en juin 1969, juste avant la mort de Brian Jones. Issu des Bluesbreakers de John Mayall, il apportait une technique impeccable, une fluidité et une sophistication blues-rock que le groupe n'avait pas eues auparavant.

Taylor n'était pas seulement un remplaçant ; il a transformé la dynamique des guitares. Là où Brian Jones était plus expérimental et "textural", Taylor était un soliste pur-sang. Sa virtuosité s'est parfaitement mariée au jeu rythmique et plus brut de Keith Richards, créant un "tissage" de guitares (souvent appelé "guitar weave" ou "interplay") d'une richesse et d'une inventivité sans précédent. Ses solos ont apporté une nouvelle dimension mélodique et bluesy, élevant les compositions de Jagger/Richards. Son influence a coïncidé avec une période de créativité explosive pour le groupe.

● "Sticky Fingers" (1971) : L'Affirmation d'un Nouveau Son

Sticky Fingers est le premier album studio où Mick Taylor est pleinement intégré (il avait déjà joué sur "Let It Bleed" mais y était moins prépondérant). Cet album marque une évolution majeure : il est plus rock, plus brut, avec une clarté de production qui met en valeur la puissance du groupe. Il incorpore habilement des éléments de country ("Wild Horses"), de blues pur ("You Gotta Move"), de rock puissant ("Brown Sugar", "Bitch") et des ballades déchirantes.

▪︎ Les paroles explorent des thèmes matures et parfois sombres : la drogue ("Dead Flowers", la mention de "brown sugar"), le sexe, l'ambiguïté, la désillusion, reflétant le climat de l'époque. Des titres comme "Brown Sugar" (provocateur et énergique), "Wild Horses" (ballade émouvante) et "Bitch" (rock garage percutant) sont devenus des classiques instantanés.

La pochette avec sa vraie fermeture éclair est devenue iconique, renforçant l'image provocatrice et avant-gardiste du groupe. L'album fut un triomphe, confirmant que les Stones étaient loin d'être finis après Altamont et leur changement de label.

▪︎ "Exile on Main St." (1972) : Le Chef-d'Œuvre Culte

Enregistré principalement dans le sous-sol de la Villa Nellcôte en France (où Keith Richards était exilé fiscal), dans une ambiance chaotique, entouré de musiciens de session et d'une énergie créative débordante, Exile on Main St. est un double album audacieux. C'est un melting-pot de genres : blues rugueux, gospel ("Shine a Light"), country-rock ("Sweet Virginia"), rock'n'roll pur ("Rip This Joint"), R&B. Il est salué pour son authenticité, son atmosphère lo-fi unique et sa profondeur.

Bien que l'album soit dominé par l'entrelacement Richards/Taylor, les solos de Mick Taylor sont particulièrement lumineux et incisifs, ajoutant une couche de sophistication blues à la rugosité générale (par exemple sur "Tumbling Dice" ou "All Down the Line").

Initialement, l'album a été reçu de manière mitigée par la critique en raison de sa production "sale" et de son éclectisme. Mais au fil du temps, il est devenu un véritable album culte, souvent cité comme le meilleur des Stones et l'un des plus grands albums de l'histoire du rock. Il capture parfaitement l'esprit d'une époque, d'un groupe en fuite mais en pleine puissance créative.

Les Années Suivantes et le Départ de Taylor

Les albums comme  "Goats Head Soup" (1973) et "It's Only Rock 'n Roll" (1974) ont poursuivi la série de succès, même s'ils sont parfois jugés un cran en dessous des deux précédents. Ils témoignent de la continuité de l'apport de Taylor. Goats Head Soup est plus sombre et introspectif, avec des morceaux comme "Angie", tandis que "It's Only Rock 'n Roll" marque une tentative de retourner à des racines plus directes du rock.

Malgré ce succès, des tensions commençaient à apparaître. Mick Taylor, plus réservé et moins enclin au style de vie chaotique du groupe, se sentait sous-estimé et sous-crédité pour ses contributions (notamment sur l'écriture de certains morceaux).

Malgré l'éclat artistique de cette période, des tensions commençaient à se faire sentir au sein du quintette, menant finalement au départ inattendu de Mick Taylor en 1974. Des rumeurs de jalousie, notamment entre Taylor et Keith Richards, ont circulé et sont souvent citées comme un facteur contribuant à ce départ. Il ne s'agissait pas nécessairement d'une jalousie malveillante, mais plutôt d'une tension complexe liée à la dynamique du groupe, aux personnalités et aux différences de contributions et de reconnaissance.

Mick Taylor était intrinsèquement plus réservé et moins enclin au style de vie débridé et chaotique qui entourait Keith Richards et, dans une moindre mesure, Mick Jagger. Alors que Richards était plongé dans une toxicomanie grandissante, Taylor était plus concentré sur la musique et moins attiré par les excès. Cette divergence de chemin de vie a créé une fracture au sein du groupe.

La maestria de Taylor à la guitare était indéniable. Il était un soliste exceptionnel, et certains estiment que sa technique surpassait parfois celle de Richards en matière de solos précis et mélodiques. Cela a pu créer une forme de "jalousie musicale" chez Keith Richards, fier de son propre style plus brut et rythmique, qui se retrouvait parfois éclipsé sur certains titres par la brillance des solos de Taylor. Richards, le "riff master" incontesté, tenait jalousement à ce rôle.

C'était un point de friction majeur : Taylor estimait qu'il n'était pas suffisamment crédité pour ses contributions à l'écriture de certaines chansons, où ses idées mélodiques ou ses riffs avaient joué un rôle clé (par exemple, sur des titres comme "Sway" ou "Moonlight Mile" sur "Sticky Fingers", ou encore certains passages sur "Exile on Main St."). Les crédits étant quasi-exclusivement attribués à Jagger/Richards, cela représentait une source de frustration financière et de reconnaissance pour Taylor. Il se sentait davantage un "membre employé" qu'un membre à part entière. Keith Richards, toujours le ciment musical du groupe avec Mick Jagger, a pu se montrer possessif face à l'influence croissante d'un autre guitariste sur la direction musicale.

Lassé de ne pas être pleinement reconnu pour ses apports créatifs et fatigué de l'environnement parfois toxique (drogue, disputes), Taylor aspirait également à explorer ses propres projets musicaux. Il ne voulait pas rester éternellement dans l'ombre de Jagger et Richards.

En décembre 1974, Mick Taylor annonça son départ des Rolling Stones. Ce fut un choc pour les fans et pour l'industrie musicale, car il était perçu comme un élément essentiel de leur son le plus puissant et le plus accompli. Sa décision marqua la fin d'une ère musicale pour le groupe, ouvrant la voie à une nouvelle phase de leur histoire.

Le départ de Mick Taylor laissait un vide immense et une question fondamentale : comment les Rolling Stones allaient-ils se réinventer ? La réponse vint en 1975 avec l'intégration de Ronnie Wood, un guitariste dont le talent, le tempérament et la complémentarité avec Keith Richards allaient définir le son des Stones pour les décennies à venir.

Après le départ de Mick Taylor, les Stones se retrouvaient sans leur guitariste soliste principal. Ce n'était pas une mince affaire de trouver un remplaçant à la hauteur de la virtuosité de Taylor et capable de s'intégrer à une machine aussi rodée que les Stones. Plusieurs guitaristes de renom furent envisagés et auditionnés (dont Jeff Beck, Rory Gallagher ou Wayne Perkins), témoignant de la difficulté à trouver le bon profil.

Ronnie Wood, déjà une figure respectée de la scène rock anglaise (passé par le Jeff Beck Group et surtout les Faces avec Rod Stewart), apporta un ensemble de qualités uniques et parfaitement complémentaires au groupe.

Moins axé sur les solos virtuoses et mélodiques à la Taylor, Ronnie Wood était un guitariste au style plus fluide, roots et surtout incroyablement complémentaire du jeu de Keith Richards. Il excellait dans les rythmiques subtiles, les riffs accrocheurs et les lignes de slide guitar, laissant à Richards l'espace pour ses propres riffs emblématiques.

Sa plus grande contribution fut de parfaire le fameux "weave" ou "guitare entrelacée" avec Keith Richards. Plutôt que d'avoir un guitariste soliste et un guitariste rythmique distincts (comme Richards/Taylor l'étaient parfois), Richards et Wood développèrent un style où leurs guitares se superposaient, se répondaient et s'entremêlaient constamment. Cela créa une texture sonore dense et inimitable, où il était difficile de dire qui jouait quoi. C'est ce son qui deviendra la signature des Stones pour les albums et tournées à venir.

Ronnie Wood n'a jamais cherché à rivaliser avec le charisme volcanique de Mick Jagger ou l'aura de rock star maudite de Keith Richards. Il s'est positionné comme le membre idéal pour compléter le duo de frontmen. Il était l'homme de la situation : talentueux, sociable, et capable de s'intégrer sans chercher à éclipser les leaders.

Wood était également connu pour son humour, son sens de la camaraderie et sa capacité à naviguer entre les personnalités souvent conflictuelles de Jagger et Richards. Il devint rapidement le "troisième homme" indispensable, un pont entre eux, capable de désamorcer les tensions et d'apporter une énergie positive au sein du groupe.

Son arrivée a stabilisé la formation qui, à part le départ de Bill Wyman bien plus tard, allait rester la même pendant des décennies. Sur scène, Ronnie Wood a apporté une énergie renouvelée, son jeu décontracté et son sens du spectacle s'intégrant parfaitement à la performance scénique des Stones, notamment lors de la tournée "Tour of the Americas '75" qui a marqué ses débuts officiels avec le groupe.

Alors que les Rolling Stones naviguaient vers une nouvelle ère musicale, une ombre grandissante planait sur le groupe : la toxicomanie de Keith Richards. Ce problème, qui avait commencé discrètement dans les années 60, atteignit son paroxysme au milieu des années 70, menaçant la survie même du groupe et plongeant ses membres dans une période tumultueuse.

Dès la fin des années 60, et particulièrement pendant la période d'enregistrement d'"Exile on Main St." en France (où la vie était propice aux excès), Keith Richards avait développé une dépendance sévère à l'héroïne.

Au milieu des années 70, cette dépendance devint quasi-omniprésente et très visible, impactant son quotidien, sa créativité et sa fiabilité. Il était souvent en retard, absent, ou incapable de fonctionner normalement. Le reste du groupe, et notamment Mick Jagger, fut confronté à la difficile réalité de la dépendance de leur ami et collaborateur le plus proche. Les sessions d'enregistrement étaient souvent ralenties ou interrompues en raison de l'état de Keith.

● La toxicomanie de Richards le rendit vulnérable aux arrestations, et plusieurs incidents majeurs mirent en péril la carrière du groupe :

▪︎ L'arrestation au Canada (Toronto, février 1977) : C'est l'épisode le plus célèbre et le plus grave. Keith Richards fut arrêté en possession d'héroïne et de cocaïne, et inculpé pour trafic de drogue, un crime passible d'une peine de sept ans de prison au Canada.

▪︎ Les conséquences : Cette arrestation causa une onde de choc massive. Elle menaçait non seulement la liberté de Richards, mais aussi la capacité des Stones à tourner aux États-Unis (où il aurait pu se voir refuser l'entrée en raison de son casier judiciaire) et même leur existence en tant que groupe. La tournée "Love You Live" fut perturbée.

▪︎ Autres incidents : Des arrestations antérieures ou mineures au Royaume-Uni ou aux États-Unis avaient déjà jalonné son parcours, mais l'affaire de Toronto fut la plus sérieuse et la plus médiatisée.

La dépendance de Keith rendait les sessions de studio imprévisibles et tendues. La créativité pouvait être bridée par son absence ou son incapacité à se concentrer. Des albums comme "Black and Blue" (1976) furent enregistrés dans ce climat difficile.

Mick Jagger fut souvent contraint de prendre les rênes, à la fois créativement (en dirigeant les sessions ou en prenant des décisions) et en tant que figure publique, défendant le groupe face aux scandales. Cette pression ajouta des tensions à la relation Jagger-Richards. La possibilité que Richards ne puisse pas obtenir de visa pour des concerts essentiels (notamment aux États-Unis) était une épée de Damoclès constante.

Face à la gravité de la situation (notamment l'affaire de Toronto), Keith Richards fut contraint de faire de sérieux efforts pour se désintoxiquer. Il suivit des traitements de désintoxication et fut finalement condamné à une peine de travaux d'intérêt général (donner un concert pour aveugles) plutôt qu'à la prison.

Ce fut un processus long et difficile, marqué par des rechutes, mais l'affaire canadienne fut un tournant majeur qui le força à prendre des mesures sérieuses pour son rétablissement. La résilience de Richards à travers cette période, et sa capacité à continuer à créer malgré tout, est devenue une part de sa légende, mais à un coût personnel et collectif immense.

En somme, la toxicomanie de Keith Richards dans les années 70 est un élément central de cette période. Elle explique les turbulences internes, les menaces externes (judiciaires), et la manière dont le groupe a dû lutter pour sa survie, tout en parvenant malgré tout à produire certains de leurs albums les plus emblématiques de la décennie.

Loin de se laisser engloutir par les problèmes de Richards, les Rolling Stones ont fait preuve d'une vitalité musicale remarquable, explorant de nouvelles sonorités et s'adaptant aux courants émergents des années 70. Cette décennie fut celle de l'expérimentation et de l'intégration de genres inattendus à leur palette sonore.

Après le départ de Mick Taylor et l'arrivée de Ronnie Wood, le groupe, déjà immergé dans les influences américaines profondes (blues, country, R&B) sur des albums comme "Exile on Main St.", a continué à puiser dans ces racines. Cependant, c'était avec une énergie renouvelée. Le jeu plus rythmique et complémentaire de Richards et Wood a accentué le côté "roots" et fusionnel du groupe, créant une texture sonore inimitable.

L'Intégration du Funk et du Reggae : "Black and Blue" (1976)

Dès le milieu des années 70, les Stones, toujours à l'écoute des évolutions musicales, ont commencé à intégrer des éléments de funk et de reggae, des genres alors très populaires qui apportaient une nouvelle dimension rythmique à leur rock.

"Black and Blue" (1976) est un excellent exemple de cette expérimentation. Enregistré pendant les auditions de guitaristes pour remplacer Taylor, l'album est marqué par l'influence de ces nouvelles sonorités. Des titres comme "Hot Stuff" sont clairement imprégnés de funk, tandis que "Cherry Oh Baby" est une incursion directe dans le reggae. L'album montrait un groupe prêt à sortir de sa zone de confort et à se réinventer.

L'Explosion Punk et Disco : "Some Girls" (1978)

La fin des années 70 vit l'explosion du punk rock, qui se positionnait en opposition virulente au "dinosaure rock" établi. Parallèlement, le disco dominait les pistes de danse. Plutôt que de s'isoler, les Stones, avec leur sens inné de la provocation et de l'opportunisme musical, ont su brillamment intégrer ces influences.

▪︎ Some Girls (1978) est une prouesse d'adaptabilité et de renouveau :

- Des titres comme "Shattered" ou "Respectable" sont imprégnés de l'énergie brute et du côté direct du punk, prouvant que les "vieux" Stones pouvaient être aussi pertinents et rageurs que les jeunes groupes.

- Le gigantesque succès de "Miss You", avec sa ligne de basse groovy et son rythme entraînant, est l'exemple le plus flagrant de leur capacité à s'approprier le disco et à en faire un hit planétaire, sans jamais perdre leur identité rock.

L'album contient également des retours à leurs racines country ("Far Away Eyes") et blues ("When the Whip Comes Down"), prouvant leur polyvalence et leur capacité à jongler avec les genres.

Ce fut un triomphe critique et commercial, prouvant leur pertinence durable et leur capacité à livrer des singles à succès et des albums cohérents.

Continuité et Confirmation : "Emotional Rescue" (1980) et "Tattoo You" (1981)

"Emotional Rescue" s'inscrit dans la lignée de "Some Girls", continuant l'exploration des sonorités disco/funk tout en conservant une énergie rock indéniable. Le titre éponyme en est un exemple clair de cette fusion.

"Tattoo You", bien que constitué de chutes de studios des sessions précédentes, est un assemblage brillant. Le succès planétaire de "Start Me Up" (un titre puissant et direct qui symbolise leur capacité à revenir aux fondamentaux du rock) a relancé leur carrière et prouvé qu'ils pouvaient encore produire des hymnes intemporels. D'autres titres comme  "Waiting on a Friend" ou "Little T&A" (chanté par Richards) ont démontré leur diversité stylistique.

Cette évolution musicale constante, leur capacité à absorber les influences de leur temps (hard rock, dance-rock, funk, reggae, punk, disco) et à les transformer en quelque chose d'unique et de distinctement Rolling Stones, est une preuve irréfutable de leur génie créatif et de leur longévité. Ils n'ont jamais cessé de se défier et de surprendre leur public, ce qui est une raison majeure de leur statut légendaire.

Malgré la résilience musicale affichée à la fin des années 70 et le succès commercial de "Tattoo You", les Rolling Stones allaient entrer dans une période de turbulences internes sans précédent. Principalement alimentée par un conflit croissant entre ses deux figures de proue, Mick Jagger et Keith Richards, ce bras de fer allait menacer l'existence même du groupe et plonger les années 80 dans une atmosphère de doute et de friction.

Avant que le conflit ne devienne ouvertement destructeur, Tattoo You a servi de puissant rappel de ce que le groupe pouvait accomplir ensemble. Ironiquement, la plupart des titres de l'album étaient des chutes de studio ou des idées non utilisées datant de sessions antérieures (notamment "Some Girls" et "Emotional Rescue").

Le succès planétaire de "Start Me Up" fut un véritable hymne de retour, un puissant riff rock qui rappelait la quintessence des Stones. L'album contenait aussi des ballades comme "Waiting on a Friend" ou des morceaux plus bluesy comme "Little T&A", chanté par Richards. L'album fut suivi d'une tournée mondiale massive et très lucrative (le "Tattoo You Tour"), qui montrait le groupe au sommet de sa puissance scénique. Cependant, cette tournée allait s'avérer être la dernière grande démonstration d'unité avant une période de frictions intenses.

Après des décennies de collaboration exclusive avec les Stones, Mick Jagger ressentait un besoin croissant d'explorer de nouvelles avenues créatives en dehors du cadre du groupe. Il aspirait à travailler avec d'autres musiciens, à expérimenter de nouveaux sons et à se prouver en tant qu'artiste solo.

Cela s'est concrétisé avec la sortie de son premier album solo majeur, "She's the Boss" (1985), suivi de "Primitive Cool" (1987). Ces albums, bien que n'atteignant pas toujours le succès critique ou commercial des Stones, ont permis à Jagger de s'affirmer en tant qu'entité artistique indépendante et de travailler avec des producteurs et musiciens différents.

Pour Keith Richards, cette démarche de Jagger fut perçue comme une trahison profonde et un abandon du navire des Rolling Stones. Richards, le gardien du temple du rock'n'roll et le fervent défenseur de l'unité du groupe, voyait dans les projets solos de Jagger une dilution de leur identité et un manque de loyauté.

La jalousie était palpable. Richards avait l'impression que Jagger se désinvestissait du groupe, et il n'hésitait pas à exprimer publiquement son mécontentement, critiquant ouvertement les albums solo de Jagger et leurs performances. Ces échanges acrimonieux, souvent relayés par la presse, ont créé un spectacle public de désunion. Richards considérait que l'énergie de Jagger devait être canalisée exclusivement au service des Stones.

Les tensions entre les deux leaders eurent un impact direct et dévastateur sur l'ambiance et la qualité des albums enregistrés durant cette période :

▪︎ "Undercover" (1983) : Bien que contenant des titres puissants, les sessions furent marquées par des disputes et un manque de cohésion. L'album reflète parfois cette tension dans sa production, moins fluide et plus fragmentée.

▪︎ "Dirty Work" (1986) : Cet album est souvent cité comme l'apogée de leurs frictions. Enregistré dans un climat glacial, les contributions de Jagger furent sporadiques et souvent séparées de celles de Richards. L'album est sombre, empreint d'une rage et d'une mélancolie qui reflètent le climat interne. Il fut d'ailleurs dédié à Ian Stewart, co-fondateur et pianiste de longue date, décédé peu avant sa sortie, ce qui ajouta à l'atmosphère déjà lourde.

La presse musicale et généraliste s'est délectée de ce conflit. La question n'était plus de savoir si les Stones allaient se séparer, mais quand. Pendant plusieurs années, l'avenir du groupe parut incertain, et les fans craignaient que cette ère de légende ne se termine sur une note amère de discorde.

L'idée que les Rolling Stones puissent se séparer dans les années 1980 n'était pas une simple rumeur de dissolution de groupe ; c'était perçu comme une véritable catastrophe culturelle et musicale. Pour des millions de fans et pour l'industrie, c'était l'annonce d'une fin qui aurait eu des répercussions sismiques, car les Rolling Stones n'étaient pas un groupe comme les autres : ils étaient des pionniers, des institutions et des symboles de longévité.

Pour beaucoup, leur séparation était tout simplement impensable. À une époque où de nombreux contemporains des années 60 avaient disparu, s'étaient séparés ou avaient ralenti leur production, les Stones étaient des survivants. Ils avaient traversé les décennies, s'adaptant et restant pertinents, là où d'autres avaient échoué. Leur simple existence continue était déjà un acte de défi.

Le titre de "Plus Grand Groupe de Rock and Roll du Monde" n'était pas qu'un slogan ; il était fondé sur des décennies de performances scéniques électrisantes et d'albums innovants. L'idée que cette force inébranlable puisse s'effondrer était difficile à concevoir. Les Stones n'étaient pas juste un groupe musical ; ils incarnaient une certaine rébellion, une énergie brute et une attitude qui définissaient le rock'n'roll. Leur séparation aurait été la fin d'un symbole fort de cette culture.

Le cœur des Rolling Stones résidait dans l'alchimie unique et souvent tempestueuse entre Mick Jagger et Keith Richards. Leur relation créative, leurs affrontements, leurs complémentarités étaient la sève du groupe. Le mythe voulait qu'ils soient inséparables, liés par une amitié et une compréhension musicale qui défiaient le temps.

Depuis les Beatles, aucun autre duo n'avait eu un tel impact durable sur la composition et l'image du rock. La perspective de la fin de leur collaboration était donc perçue comme la perte d'une des fondations mêmes du genre.

Pour des millions de fans à travers le monde, les Stones étaient une bande-son pour leur vie, des repères constants dans un monde en mutation. La menace de leur dissolution était une source de tristesse et d'angoisse profonde. Les journaux et magazines musicaux débattaient de la question, alimentant les craintes d'une fin imminente. Chaque déclaration de Jagger ou Richards dans la presse était scrutée à la loupe, cherchant des signes de réconciliation ou de rupture définitive. La tension était palpable.

Au-delà de l'artistique, la séparation aurait eu des répercussions économiques majeures. Les tournées des Stones étaient des événements planétaires générant des millions de dollars, et la vente de leurs disques restait colossale. Leur absence aurait créé un vide commercial que peu d'autres groupes auraient pu combler.

Ainsi, la crise Jagger-Richards dans les années 80 n'était pas juste une querelle interne ; elle était le point culminant d'une menace existentielle pour l'un des piliers de la musique contemporaine. Le fait qu'ils aient survécu et surmonté cette période de discorde n'a fait que renforcer leur légende et le caractère "miraculeux" de leur résurrection ultérieure. Ce conflit fut l'un des chapitres les plus difficiles de l'histoire des Rolling Stones, mais aussi, paradoxalement, un prélude à une résurrection spectaculaire.

Après des années de tensions exacerbées, de projets solos concurrents et de spéculations sur leur fin imminente, les Rolling Stones ont réalisé l'impensable : une réconciliation spectaculaire entre Mick Jagger et Keith Richards, culminant avec la sortie de l'album "Steel Wheels" et une tournée mondiale triomphale en 1989.

Les disputes avaient atteint un tel point que la collaboration semblait impossible. "Dirty Work" avait été enregistré dans un climat glacial, avec Jagger et Richards travaillant souvent séparément. Les déclarations publiques de Richards sur les ambitions solo de Jagger n'avaient fait qu'envenimer les choses. Pourtant, plusieurs facteurs clés ont conduit à leur rapprochement :

▪︎ L'Amour de la Musique et du Groupe : Malgré leurs différences et leurs conflits, Jagger et Richards partageaient une passion indéfectible pour les Rolling Stones et une compréhension profonde de l'importance de leur héritage musical. Le groupe était leur raison d'être, leur foyer créatif principal.

▪︎ L'Échec Relatif des Carrières Solo : Bien que les albums solo de Jagger aient connu un succès modéré, ils n'ont jamais égalé l'impact ou la portée des productions des Stones. Richards a également sorti un excellent album solo, "Talk Is Cheap" (1988), qui fut bien reçu, mais qui n'a pas non plus remplacé l'adrénaline et l'ampleur des Stones. Tous deux ont réalisé qu'ils étaient plus forts ensemble.

▪︎ Le Rôle des Intermédiaires et de l'Environnement : Des membres comme Charlie Watts et Ronnie Wood ont joué un rôle crucial, agissant comme des médiateurs et poussant les deux leaders à se parler. La pression externe, le désir ardent des fans de les revoir ensemble, et l'opportunité financière d'une nouvelle tournée majeure ont également été des catalyseurs puissants.

▪︎ La Rencontre Déclencheur : Le tournant majeur a été une rencontre plus personnelle entre Jagger et Richards, souvent citée comme ayant eu lieu dans une villa des Caraïbes. Ils ont mis de côté leurs différends, se sont parlé sincèrement et ont décidé de donner une nouvelle chance au groupe. C'était un retour aux sources de leur amitié et de leur partenariat créatif.

Après la réconciliation, le groupe s'est réuni avec une énergie retrouvée pour l'écriture et l'enregistrement de "Steel Wheels". L'album a été conçu comme un retour aux fondamentaux, un album de rock solide, sans les expérimentations disco ou punk des années précédentes.

L'atmosphère en studio était bien meilleure, marquée par une cohésion retrouvée. Jagger et Richards ont travaillé ensemble sur les compositions, et l'ensemble du groupe (avec Charlie Watts, Ronnie Wood et Bill Wyman qui participera à ce qui sera sa dernière tournée) a contribué à un album qui sonnait à nouveau comme un véritable effort collectif des Stones.

Des titres comme "Mixed Emotions", "Rock and a Hard Place" ou "Terrifying" ont rappelé la puissance et la polyvalence du groupe.

"Steel Wheels" fut un succès immédiat, salué par la critique comme un retour en forme des Rolling Stones et par le public qui l'acheta massivement. Il a démontré que le groupe était non seulement toujours là, mais qu'il pouvait encore produire de la musique pertinente et de qualité. L'album a symbolisé leur capacité à surmonter les crises et à revenir au sommet.

Accompagnant l'album, le "Steel Wheels Tour" fut un phénomène mondial. C'était la première grande tournée des Stones depuis Tattoo You en 1981, et l'anticipation était immense après les années de doutes.

La tournée était d'une ampleur sans précédent, avec des scènes spectaculaires, des effets visuels innovants et une production colossale. Elle a redéfini les standards des tournées de stades et des méga-concerts. Sur scène, le groupe a montré une énergie et une cohésion retrouvées. La performance de Jagger était au sommet, et le duo Richards-Wood était plus efficace que jamais. La tournée a non seulement été un immense succès financier, mais elle a surtout prouvé à la planète entière que les Rolling Stones étaient de retour, plus unis et plus puissants que jamais. Elle a cimenté leur statut de légendes vivantes et a ouvert la voie à des décennies de tournées mondiales continues.

Cette réconciliation et le triomphe de Steel Wheels ont marqué la fin de la période la plus tumultueuse de leur histoire et ont solidifié leur héritage pour le 21e siècle.

Pour des millions de personnes, et personnellement pour ma propre découverte en 1989, "Steel Wheels" fut une porte d'entrée inattendue et puissante dans l'univers des Rolling Stones. À l'époque, comme beaucoup de jeunes auditeurs, j'avais bien sûr entendu parler des "Stones", ces géants du rock dont la réputation les précédait, mais sans en saisir réellement l'ampleur ni l'impact historique. L'énergie retrouvée de cet album et la grandeur de la tournée qui l'accompagnait ont révélé non seulement la puissance intacte d'un groupe légendaire, mais aussi leur capacité à se réinventer et à transcender les crises. Ce fut la preuve éclatante que, malgré les tumultes, les Rolling Stones demeuraient une force vive, capable d'inspirer et de captiver de nouvelles générations, réaffirmant leur statut de pionniers éternels du rock and roll.















● À Florianne et Gemini : grâce à vous, on a 'Shine a Light' sur les tumultes des Rolling Stones de 1970 à 1989. Pas de 'Gimme Shelter' pour les détails, et c'est ça qu'on aime ! Merci pour cette 'Brown Sugar' de conversation.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ace of Spades : L'album ultime

Le Pacte Diabolique : Une Rébellion Musicale

De l'idéal américain à la contre-culture : l'odyssée de la Route 66