Les Rolling Stones (1964-1970) : La Naissance d'une Légende Rock

 


Dès le milieu des années 60, les Rolling Stones ont largement dépassé le simple statut de groupe de musique pour devenir un véritable phénomène culturel.

Alors que les Beatles incarnaient une image plus sage, "gentille" et jugée acceptable par les parents, les Stones, eux, ont délibérément cultivé celle de "bad boys". Mick Jagger, avec son charisme provocateur et ses mouvements scéniques suggestifs, et Keith Richards, avec son attitude rebelle, incarnaient une sexualité brute et une dangerosité attrayante. Ils représentaient parfaitement les anti-héros que beaucoup de jeunes attendaient.

Leurs paroles, souvent plus sombres et cyniques que celles de leurs contemporains, abordaient des thèmes comme la désillusion, la sexualité, les drogues et la vie urbaine. Des titres emblématiques tels que "(I Can't Get No) Satisfaction", "Paint It Black" ou "Sympathy for the Devil" ont capturé l'esprit de l'époque, résonnant profondément avec une jeunesse en quête d'émancipation et désireuse de remettre en question les normes établies.

Leur look – cheveux longs, vêtements débraillés, attitude désinvolte – a instantanément influencé des millions de jeunes. Ils ont popularisé une esthétique rock'n'roll à la fois cool et subversive, devenant un symbole puissant de liberté et de non-conformité.

Les concerts des Stones étaient de véritables événements électriques, souvent marqués par des scènes d'hystérie collective, mais aussi par une énergie brute et libératrice. Ils ont offert une bande-son emblématique à la contre-culture émergente, un exutoire parfait pour les frustrations et les aspirations d'une génération en pleine effervescence.

Le British Blues fut le terreau fertile d'où sont nés les Rolling Stones et nombre d'autres groupes britanniques emblématiques de cette ère musicale.

Dans les années 50 et au début des années 60, des musiciens britanniques, profondément fascinés par le blues américain (souvent découvert grâce à des disques importés), commencèrent à s'approprier ce genre. Des figures pionnières comme Alexis Korner, John Mayall (avec ses célèbres Bluesbreakers) et Cyril Davies jouèrent un rôle crucial. Ils organisèrent des clubs et des concerts où ils interprétaient un blues électrique inspiré par des légendes telles que Muddy Waters, Howlin' Wolf, Jimmy Reed et Elmore James.

Les jeunes musiciens britanniques furent particulièrement attirés par l'authenticité et la puissance émotionnelle du blues. Ce genre représentait une forme d'expression musicale plus viscérale et moins policée que la pop américaine de l'époque, offrant une résonance unique.

Les Rolling Stones, et en particulier Brian Jones (un puriste du blues), Mick Jagger et Keith Richards, étaient profondément immergés dans cette scène bouillonnante. Leurs premières années sont d'ailleurs marquées par une forte influence du blues de Chicago. Le nom même du groupe est un hommage direct à la chanson "Rollin' Stone" de Muddy Waters. Leurs premiers albums regorgent de reprises de classiques du blues, et leurs compositions originales sont imprégnées de cette sonorité brute. Leurs prestations live initiales consistaient d'ailleurs très souvent en des réinterprétations de ces mêmes classiques.

Si les Stones ont débuté comme un groupe de blues pur, ils ont rapidement su intégrer des éléments de rock'n'roll, de R&B et de pop pour forger leur son distinctif. Toutefois, le blues est toujours demeuré la colonne vertébrale de leur musique, leur conférant cette profondeur et cette "saleté" caractéristique qui les a si bien distingués.

Les années 60 furent une décennie de bouleversements sociaux, politiques et culturels majeurs. Les Rolling Stones n'ont pas seulement réagi à ces changements ; ils les ont incarnés, amplifiés, et sont devenus le reflet le plus fidèle de cette époque en pleine effervescence.

Cette décennie a vu l'émergence des mouvements pour les droits civiques, l'opposition à la guerre du Vietnam, la libération sexuelle et une remise en question générale de l'autorité. Avec leur image résolument rebelle et leurs paroles provocatrices, les Stones se sont imposés comme les porte-parole de cette contre-culture. Ils ont donné une voix aux frustrations et aux désirs d'une jeunesse qui rejetait avec force le statu quo.

Les années 60 furent également une période d'intense expérimentation musicale. Les Stones, partis du blues, ont rapidement absorbé des influences diverses : le psychédélisme (notamment avec l'album "Their Satanic Majesties Request"), le rock'n'roll américain, et même des éléments de musique classique. Cette capacité à évoluer et à innover tout en conservant leur noyau blues-rock distinctif a été essentielle à leur incroyable longévité et à leur succès planétaire.

Mick Jagger, en particulier, est devenu une véritable icône sexuelle. Leurs chansons et leur image ont brisé les tabous autour de la sexualité, à la fois reflétant et alimentant la révolution sexuelle de l'époque. Ils incarnaient une forme audacieuse de liberté et de transgression.

Des événements emblématiques, comme leur association (bien que sans y jouer) au festival de Monterey Pop, le tristement célèbre concert gratuit d'Altamont en 1969 (qui a marqué la fin d'une certaine innocence pour les sixties et pour le groupe), ou encore leurs nombreux démêlés avec la justice pour usage de drogues, ont non seulement forgé leur légende mais aussi ancré leur identité dans le chaos et l'excitation de la décennie.

Plus que tout autre groupe, les Stones ont su forger et capitaliser sur l'image du "bad boy" rebelle et dangereux. C'était en partie une construction médiatique, certes, mais elle correspondait aussi à une facette authentique de leur personnalité et de leur musique. Cette image est devenue indissociable de leur marque, largement façonnée par les attentes et les réactions du public des années 60.

En somme, la période 1964-1970 a vu les Rolling Stones passer d'un groupe de blues passionné à une icône culturelle mondiale, dont l'identité est profondément liée à la rébellion, à l'expérimentation et aux bouleversements qui ont défini les années 60.

Le tout premier album des Rolling Stones, simplement intitulé "The Rolling Stones", est sorti au Royaume-Uni le 17 avril 1964. Un mois plus tard, le 30 mai 1964, la version américain débarque sous le nom "England's Newest Hit Makers", avec une liste de titres légèrement différente. Pour mieux comprendre leurs fondations, concentrons-nous sur l'édition britannique, qui est le reflet le plus direct de leurs débuts.

À l'époque de cet album, les Rolling Stones n'étaient pas des inconnus. Ils avaient déjà un single à succès à leur actif : une reprise de "I Wanna Be Your Man" (écrite par Lennon/McCartney), sortie fin 1963, qui avait grimpé jusqu'à la 12e place des charts britanniques. Leur base de fans était également en pleine croissance, grâce à leurs performances live électrisantes dans les clubs de Londres et du nord de l'Angleterre, comme le mythique Crawdaddy Club. Leur manager, Andrew Loog Oldham, s'attelait déjà à forger leur image de "bad boys", en net contraste avec celle, plus policée, des Beatles.

L'album est une pierre angulaire du British Blues et reflète parfaitement leurs racines musicales. Sur les douze titres, pas moins de huit sont des reprises de standards américains de rhythm and blues et de blues. Les Stones rendaient ainsi un vibrant hommage à leurs héros :

▪︎ Blues de Chicago : Des morceaux iconiques de Muddy Waters ("Rolling Stone Blues" – souvent appelée "Rollin' Stone" à l'époque), Jimmy Reed ("Bright Lights, Big City"), ou encore Howlin' Wolf ("Little By Little").

▪︎ Rhythm and Blues : Des reprises dynamiques de Chuck Berry ("Carol") et Bobby Troup ("Route 66").

▪︎ Soul/R&B : Des influences des Coasters ("Poison Ivy") et des versions plus brutes de classiques du genre.

Le plus fascinant est que, sur ces douze titres, seuls trois étaient des compositions originales créditées à Jagger/Richards, complétées par une contribution signée Nanker Phelge (le pseudonyme collectif du groupe). Ces morceaux marquaient leurs toutes premières tentatives d'écriture, souvent sous la pression d'Andrew Loog Oldham qui voulait les pousser à composer, à l'instar des Beatles :

▪︎ "Tell Me (You're Coming Back)" : C'était la toute première composition originale de Jagger/Richards à figurer sur un album. Ce morceau, plutôt pop, révélait une facette plus mélodique de leur talent naissant.

▪︎ "Little By Little" : Co-écrite avec le légendaire Phil Spector, cette piste est davantage orientée R&B.

▪︎ "Now I've Got a Witness (Like Uncle Phil and Uncle Gene)" : Un instrumental qui est, en réalité, une improvisation jam blues pleine d'énergie.

L'album "The Rolling Stones" a été produit par Andrew Loog Oldham, qui, malgré un manque d'expérience notable en production, a su capter l'énergie brute et l'authenticité des performances live du groupe. Le son est volontairement simple et direct, une véritable photographie de leurs débuts scéniques. Sur cet opus, la virtuosité de Brian Jones est particulièrement mise en lumière, grâce à sa maîtrise de l'harmonica, de la slide guitar et de la guitare rythmique.

La sortie de "The Rolling Stones" fut un succès retentissant. L'album est resté en tête des classements britanniques pendant 12 semaines consécutives, réussissant même l'exploit de détrôner les poids lourds des Beatles, "With the Beatles" et "Please Please Me". Ce triomphe fut une affirmation claire de leur puissance et de leur capacité à rivaliser, voire à surpasser, leurs contemporains.

Malgré une prédominance de reprises, l'album a solidifié leur image de groupe de R&B authentique et légèrement dangereux. Ils n'étaient résolument pas les "gentils garçons" des Beatles ; ils incarnaient les "brutes" sans concession du rock'n'roll.

Le succès phénoménal de cet album a offert aux Stones la confiance et la plateforme nécessaires pour intensifier l'écriture de leurs propres compositions et affiner leur son unique dans les albums à venir. Il a prouvé l'existence d'un public massif, avide de leur interprétation plus crue, moins polie et viscérale du rock'n'roll.

En somme, le premier album des Rolling Stones, bien que n'étant pas un chef-d'œuvre de composition originale, fut un puissant manifeste de leurs influences blues et R&B. C'est une capsule temporelle de l'énergie bouillonnante de leurs débuts et le tremplin décisif qui les a propulsés au sommet des charts et dans la conscience publique comme un phénomène culturel majeur et incontournable.

Les Rolling Stones s'envolent pour les États-Unis en juin 1964, pour leur première tournée américaine. C'était un moment charnière, non seulement pour le groupe, mais aussi pour la "British Invasion" qui suivait l'onde de choc des Beatles.

En juin 1964, les Rolling Stones s'envolent pour les États-Unis, marquant le début de leur toute première tournée américaine. C'est un moment charnière, non seulement pour le groupe, mais aussi pour l'intensification de la "British Invasion" qui déferle dans le sillage des Beatles.

Contrairement aux Beatles, qui avaient déjà bénéficié d'une immense hype et d'un succès discographique retentissant avant même de poser le pied sur le sol américain, les Stones étaient alors relativement inconnus du grand public aux États-Unis. Leur premier single outre-Atlantique, "Not Fade Away", avait certes connu un succès modeste, mais n'avait pas suffi à les propulser au rang de superstars.

L'Amérique, en quête d'un nouveau phénomène, s'attendait à une suite dans la veine des Beatles. Or, les Stones, avec leurs cheveux plus longs, leur attitude plus brute et leur musique plus "sale", ont été accueillis avec une certaine perplexité par une partie du public et des médias américains. Ils étaient les "anti-Beatles", une image qui n'était pas encore pleinement comprise ou acceptée par tous.

Un moment télévisuel particulièrement marquant, et non sans heurts, fut leur apparition au Hollywood Palace en Californie. Cette émission de variétés très populaire, animée par Dean Martin, a vu ce dernier présenter le groupe avec un certain dédain, voire une condescendance appuyée, n'hésitant pas à faire des blagues sur leurs cheveux longs.

C'était un signe clair que leur image "rebelle" ne passait pas toujours bien au prime time américain, habitué à des artistes bien plus policés et consensuels.

La tournée fut courte, avec environ douze dates entre le 5 et le 20 juin 1964. Les concerts ne furent pas tous des triomphes immédiats, comme c'était souvent le cas pour eux au Royaume-Uni. L'accueil était parfois tiède, le public ne sachant pas toujours comment réagir face à ces jeunes Anglais débraillés jouant un blues si cru. Ils se sont produits dans des lieux variés, du prestigieux Carnegie Hall à New York à des auditoriums plus modestes, posant ainsi les premières pierres de leur future conquête américaine.

Malgré les difficultés initiales, cette première incursion des Rolling Stones aux États-Unis en juin 1964 fut absolument fondamentale pour leur carrière.

Le moment le plus mythique de cette tournée fut sans aucun doute leur escale à Chicago, le berceau du blues électrique. Ils y ont visité les légendaires Chess Records Studios, un lieu sacré où ils ont d'ailleurs enregistré une partie de leur EP "Five by Five" et des titres destinés à leur second album américain, "12 x 5".

C'est là qu'ils ont eu l'incroyable opportunité de rencontrer et de jammer avec leurs idoles, des figures emblématiques comme Muddy Waters et Willie Dixon. Keith Richards a d'ailleurs souvent raconté la célèbre anecdote où Muddy Waters était en train de repeindre le plafond du studio à leur arrivée. Cette scène, bien qu'anecdotique, illustrait la réalité de l'industrie pour les musiciens de blues de l'époque, et a renforcé la détermination des Stones à faire connaître cette musique. Cette rencontre a profondément marqué le groupe et a solidifié leur attachement indéfectible au blues américain.

Être sur le sol américain leur a permis d'absorber directement de nouvelles influences, au-delà du simple blues. Ils ont pu s'imprégner du rhythm and blues, de la soul et durock'n'roll américain à leur source, ressentant de près l'énergie vibrante de la musique afro-américaine.

Même si cette tournée n'a pas été un succès immédiat à la mesure de celui des Beatles, elle a indéniablement semé les graines de leur future conquête américaine. Leur single "It's All Over Now", enregistré peu après cette tournée et sorti en juillet 1964, allait devenir leur tout premier single numéro 1 au Royaume-Uni et leur premier Top 30 aux États-Unis. Ce fut le véritable coup d'envoi de leur ascension fulgurante outre-Atlantique, confirmant que leur audace et leur son unique avaient trouvé leur public.

Pour comprendre la discographie des groupes britanniques des années 60, et notamment celle des Rolling Stones, il est crucial de saisir les grandes disparités qui existaient alors entre les sorties d'albums au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les Stones en sont un exemple parfait, et plusieurs raisons expliquent ces différences.

Les divergences s'expliquent principalement par les habitudes de consommation musicale de chaque territoire :

▪︎ Au Royaume-Uni : Le single était le format roi. Les albums étaient souvent perçus comme des collections de chansons distinctes et, pour éviter de "forcer" le public à acheter deux fois la même chanson, les singles déjà parus n'y étaient généralement pas inclus. Le format EP (Extended Play) était également très populaire, servant à tester de nouveaux titres ou à compiler quelques morceaux.

▪︎ Aux États-Unis : Le marché était bien plus orienté vers les albums LP (Long Play). Il était même courant, voire attendu, d'y inclure les singles à succès pour maximiser les ventes et la reconnaissance. Les EP, en revanche, y étaient bien moins utilisés. Le marché américain étant beaucoup plus vaste et lucratif, les labels avaient tendance à "optimiser" la sortie des albums pour coller au mieux aux attentes de leurs consommateurs.

Les labels américains avaient souvent des exigences de durée plus strictes pour les albums LP. Un album américain devait généralement atteindre une certaine durée pour être considéré comme un "produit complet" et justifier son prix. Cela pouvait entraîner l'ajout ou la suppression de titres afin d'atteindre la durée désirée.

De plus, les stratégies des maisons de disques jouaient un rôle majeur. Les Rolling Stones étaient signés chez Decca Records au Royaume-Uni, tandis qu'aux États-Unis, leurs disques étaient distribués par London Records, une filiale de Decca. Chaque label avait ses propres approches marketing et commerciales. London Records (États-Unis) adoptait une approche plus agressive pour "américaniser" les albums des Stones, s'assurant que chaque sortie contienne les singles qui passaient déjà en boucle à la radio et étaient populaires auprès du public américain.

Lorsqu'un groupe britannique comme les Stones commençait à percer aux États-Unis, les labels américains souhaitaient rapidement sortir un album qui capitaliserait sur le succès des singles. Plutôt que d'attendre que le groupe ait suffisamment de nouvelles chansons pour un album complet sans les singles (selon la logique britannique), ils n'hésitaient pas à mélanger singles à succès, faces B, titres d'EP, et parfois même des morceaux destinés à de futurs albums au Royaume-Uni. C'est cette pratique qui a créé la complexité et la diversité des discographies des groupes britanniques des années 60 de part et d'autre de l'Atlantique.

Ce phénomène de divergences transatlantiques a engendré une discographie particulièrement complexe pour les premiers albums des Rolling Stones, souvent déroutante pour les fans et collectionneurs.

● Des Albums aux Visages Multiples. 

Voici quelques exemples emblématiques de ces modifications :

- Le premier album britannique, simplement intitulé "The Rolling Stones", est paru aux États-Unis sous le nom "England's Newest Hit Makers", avec l'ajout notable de titres comme "I Wanna Be Your Man".

- L'EP britannique "Five by Five", enregistré à Chicago, a été rapidement transformé en un album complet outre-Atlantique, "12 X 5", grâce à l'ajout de sept titres supplémentaires, incluant des singles.

- Des albums phares comme "Out of Our Heads", "Aftermath" et "Between the Buttons" présentent des listes de titres et des pochettes radicalement différentes entre leurs versions britannique et américaine.

● Par exemple, la version américaine de "Out of Our Heads" inclut le méga-hit "(I Can't Get No) Satisfaction" – qui n'était qu'un single hors album au Royaume-Uni – ce qui a évidemment dopé ses ventes aux États-Unis.

● De même, la version américaine d'"Aftermath" contient l'incontournable "Paint It Black", absent de l'édition britannique.

Ces disparités ont commencé à s'estomper vers la fin des années 60, en particulier à partir de 1967. L'album "Their Satanic Majesties Request" (1967) fut le premier des Rolling Stones à présenter la même liste de titres et la même pochette des deux côtés de l'Atlantique. Dès lors, la mondialisation progressive de l'industrie musicale et l'évolution des pratiques des labels ont conduit à une harmonisation progressive des sorties d'albums.

Ces différences s'expliquent par les pratiques commerciales distinctes (primauté des singles au Royaume-Uni vs. albums aux États-Unis), les stratégies propres à chaque label et les attentes variées des publics. Cette fragmentation rend le parcours des premiers albums des Rolling Stones particulièrement fascinant et riche pour quiconque s'intéresse à l'histoire du rock.

L'année 1965 fut absolument décisive, catapultant les Rolling Stones au rang de phénomène mondial. C'est l'année où le groupe est passé de "groupe de blues populaire" à celui de "superstars internationales", principalement grâce à la sortie d'un single emblématique.

> Le tournant majeur est sans conteste la sortie de "(I Can't Get No) Satisfaction".

L'iconique riff de guitare a été imaginé par Keith Richards lors d'un rêve, alors qu'il était en tournée américaine à Clearwater, en Floride, en mai 1965. La légende raconte qu'il l'aurait grossièrement enregistré sur un magnétophone avant de se rendormir. Mick Jagger a ensuite écrit les paroles percutantes, qui exprimaient la frustration et le cynisme d'une jeunesse confrontée à la publicité omniprésente, à la superficialité et à l'autorité.

Le morceau a été enregistré aux studios Chess à Chicago et RCA à Los Angeles en mai 1965. Keith Richards a eu l'idée géniale d'utiliser une pédale de fuzz Gibson Maestro pour créer ce son distinctif et "grésillant" de la guitare. Ce son, initialement prévu comme un guide pour de futurs cuivres, est finalement devenu l'élément central et reconnaissable du morceau.

"(I Can't Get No) Satisfaction" est sorti en single aux États-Unis en juin 1965 et au Royaume-Uni en juillet 1965. Le succès fut immédiat et colossal. Il est devenu leur tout premier numéro 1 aux États-Unis et leur quatrième numéro 1 au Royaume-Uni, dominant les charts mondiaux durant tout l'été 1965.

● Plusieurs facteurs expliquent l'impact phénoménal et durable de ce titre :

▪︎ Résonance des Paroles : Les paroles, avec leur rébellion assumée contre la consommation de masse ("And I'm tryin' to make some girl / Who says, 'Baby, better come back later next week / 'Cause you see I'm on a losing streak'") et le sentiment général d'insatisfaction, ont profondément résonné auprès de la jeunesse. Elles articulaient une frustration généralisée face à la société de consommation et aux contraintes sociales de l'époque.

▪︎ Un Riff Révolutionnaire : Le riff de Richards, avec son son distordu obtenu grâce à la fuzzbox, fut révolutionnaire. Il a non seulement propulsé le morceau, mais a aussi influencé des milliers de guitaristes, contribuant à définir le son du rock'n'roll pour les décennies à venir.

▪︎ Affirmation de l'Image "Bad Boy" : La chanson a cimenté l'image des Stones comme les "bad boys" incontournables du rock, en parfait contraste avec les Beatles. Leur attitude plus sombre, plus sexuelle et plus provocante s'est affirmée. D'ailleurs, les stations de radio ont parfois censuré certaines paroles (notamment les allusions sexuelles de Jagger), ce qui n'a fait qu'accroître leur aura subversive et leur attrait.

L'année 1965 ne s'est pas résumée au succès fulgurant de "Satisfaction". Elle a été unepériode d'intense activité et de consolidation pour les Rolling Stones, les propulsant définitivement au sommet :

▪︎ "The Last Time" (Février 1965) : Avant "Satisfaction", ce single a constitué un jalon essentiel. C'était la première fois qu'une composition était créditée à Jagger/Richards (bien qu'inspirée d'un chant gospel traditionnel), signalant leur progression en tant qu'auteurs. Le titre a d'ailleurs atteint la première place au Royaume-Uni.

L'année 1965 a vu la sortie de plusieurs albums qui ont témoigné de leur évolution :

▪︎ "The Rolling Stones No. 2" (Janvier 1965 - UK) / "The Rolling Stones, Now!" (Février 1965 - US) : Ces albums ont continué de démontrer leur maîtrise incontestable du blues et du R&B, tout en intégrant de plus en plus de compositions originales signées Jagger/Richards.

▪︎ "Out of Our Heads" (Juillet 1965 - US / Septembre 1965 - UK) : La version américaine de cet album a connu un succès colossal, principalement grâce à l'inclusion de "Satisfaction". Cet opus marque une transition claire vers davantage de compositions originales, sans pour autant renier leurs racines blues.

▪︎ "December's Children (And Everybody's)" (Décembre 1965 - US) : Cet autre album américain était une compilation astucieuse de divers titres, conçue spécifiquement pour le marché américain.

Les Stones ont également intensifié leurs tournées, notamment leur quatrième et plus grande tournée en Amérique du Nord d'octobre à décembre 1965. Leurs concerts étaient désormais des événements de masse, souvent marqués par une hystérie collective des fans, illustrant l'ampleur phénoménale de leur popularité grandissante à travers le monde.

En 1965, les Rolling Stones ont prouvé qu'ils étaient bien plus qu'un simple groupe de reprises de blues. Grâce à des compositions originales audacieuses comme "Satisfaction", un son plus agressif et une image de plus en plus subversive, ils se sont imposés comme une force dominante de la "British Invasion". Ils ont véritablement conquis le monde, devenant les porte-drapeaux d'une jeunesse en quête de sens, de liberté et de transgression.

Le succès planétaire de "(I Can't Get No) Satisfaction" marque un tournant décisif : c'est le moment où Mick Jagger et Keith Richards se sont véritablement affirmés en tant que compositeurs majeurs. Cette transition n'a pas été instantanée, mais plutôt l'aboutissement d'un processus initié et fortement encouragé par leur manager, Andrew Loog Oldham.

Au début de leur carrière, les Stones étaient avant tout un groupe d'interprètes passionnés de blues et de R&B, leurs premiers albums regorgeant de reprises de leurs héros américains. Cependant, Andrew Loog Oldham, doté d'un sens aigu des affaires et d'une vision à long terme, a rapidement saisi l'importance cruciale pour un groupe d'écrire ses propres chansons, et ce pour plusieurs raisons fondamentales :

▪︎ Identité Unique : La composition originale leur conférait une identité propre, les distinguant d'un simple "tribute band".

▪︎ Lucrativité : Les royalties générées par les compositions originales étaient bien plus lucratives que celles des reprises. Le succès de Lennon/McCartney avec les Beatles en était la preuve vivante, démontrant la manne financière potentielle.

▪︎ Pérennité : Un répertoire original solide était la clé d'une carrière durable et autonome. C'est ainsi qu'Oldham a poussé, et parfois même, de manière anecdotique, "enfermé" Jagger et Richards afin qu'ils composent. Keith Richards a souvent raconté cette période où, se considérant avant tout comme des musiciens et des interprètes, ils se sont sentis quelque peu maladroits à leurs débuts dans l'écriture.

● Avec le succès de "Satisfaction", la "machine" à composer Jagger/Richards était lancée :

▪︎ Prolifération des Compositions Originales : Les albums suivants, à l'image d'"Aftermath" (1966), ont été les premiers à être entièrement composés par Jagger/Richards. Ce fut une preuve éclatante de leur maturité artistique et d'une confiance retrouvée dans leurs capacités créatives.

▪︎ Un Processus Collaboratif : Généralement, Richards était le "riff-meister", celui qui apportait les idées musicales initiales (riffs, accords, mélodies de base), souvent nées de jam sessions. Jagger prenait ensuite ces ébauches pour y superposer les paroles et les mélodies vocales, donnant vie aux chansons. Bien sûr, le processus n'était pas toujours aussi compartimenté et ils se sont mutuellement influencés, faisant évoluer leurs idées.

▪︎ Ouverture Musicale : Leur talent de compositeurs leur a permis d'explorer de nouveaux genres au-delà du simple blues-rock, tels que le folk, le psychédélisme et d'autres sonorités, tout en conservant indéniablement cette "patte" inimitable des Stones.

En bref, en 1965, Jagger et Richards sont devenus des compositeurs à part entière, bien plus que de simples interprètes talentueux. Le succès de "Satisfaction" a été le catalyseur qui a cimenté leur partenariat d'écriture et a transformé les Rolling Stones d'un groupe de reprises en un véritable phénomène créatif et culturel, capable de produire des hymnes originaux pour une génération.

Les titres "The Last Time" et surtout "(I Can't Get No) Satisfaction", furent des tubes majeurs qui ont propulsé les Rolling Stones au sommet des classements mondiaux.

1965 fut l'année où ils sont devenus un phénomène mondial, car ces titres ont non seulement dominé les classements des deux côtés de l'Atlantique et dans le reste du monde, mais ont aussi profondément marqué la culture populaire. Ce sont des chansons qui ont défini leur son et leur image pour les décennies à venir, scellant leur place dans l'histoire du rock.

La provocation des Rolling Stones ne se limitait pas à leur look ou à leur attitude scénique ; elle était profondément ancrée dans leur musique, et les tubes de 1965 en sont des exemples éclatants.

● "(I Can't Get No) Satisfaction" : L'Hymne de la Rébellion Sexuelle et Sociale

▪︎ Les Paroles : C'est le cœur même de la provocation. Mick Jagger y exprime une frustration généralisée face à la société de consommation (la publicité omniprésente, les jingles commerciaux), mais surtout une insatisfaction sexuelle explicite. Des lignes comme "I'm tryin' to make some girl" et les allusions au manque de "satisfaction" étaient considérées comme extrêmement osées pour l'époque. Dans un monde encore largement puritain, chanter publiquement ses frustrations intimes représentait une transgression majeure.

▪︎ La Censure : En raison de ces paroles audacieuses, la chanson a été censurée ou éditée par de nombreuses stations de radio, notamment aux États-Unis. Cette censure n'a fait qu'amplifier son aura subversive et l'image provocatrice du groupe. Le fait d'être "trop osé" pour la radio conventionnelle renforçait paradoxalement leur crédibilité auprès d'une jeunesse en quête de rébellion.

▪︎ Le Son : Le riff de guitare "sale" de Keith Richards, créé avec une pédale de fuzz, était agressif et d'une crudité inédite. Il contrastait fortement avec la pop plus "propre" de l'époque et symbolisait un son rock'n'roll plus rugueux, moins policé, marquant une nouvelle ère sonore.

● "The Last Time" : Défi et Affirmation d'une Attitude Mençante

Bien que moins ouvertement provocateur que "Satisfaction" dans ses paroles (qui évoquaient la fin d'une relation), le morceau "The Last Time" véhiculait une attitude de défi et de supériorité. Le fameux "This is the last time" suggérait une rupture nette et une volonté affirmée de ne plus se soumettre

Son riff puissant et son énergie brute ont contribué à consolider leur image de groupe rock'n'roll avec une attitude résolument "cool" et légèrement menaçante, à mille lieues de la gentillesse souvent associée aux Beatles.

Alors que les Beatles proposaient des chansons d'amour relativement innocentes, les Rolling Stones, notamment avec "Satisfaction", ont abordé des thèmes plus sombres, sexuels et profondément critiques de la société. Cette approche a créé une distinction nette et a solidifié leur position en tant que "bad boys" de la British Invasion, attirant instantanément une partie de la jeunesse qui se reconnaissait dans cette rébellion.

Les années 60 représentaient une période de grands bouleversements sociaux et de remise en question. Les paroles de Jagger, exprimant la frustration et l'aliénation, ont donné une voix puissante à un sentiment largement partagé par de nombreux jeunes qui se sentaient incompris ou insatisfaits par les conventions de leurs parents. Cette résonance profonde a amplifié leur statut de porte-drapeaux de la contre-culture.

Pour leurs fans, écouter les Stones, c'était participer activement à une forme de transgression. Le fait que leur musique choque une partie de l'establishment ou soit censurée rendait le groupe encore plus attrayant et "interdit", renforçant leur aura de rébellion.

En somme, ces tubes n'étaient pas seulement des succès commerciaux. Ils étaient de véritables déclarations audacieuses qui ont cimenté l'identité des Rolling Stones comme un groupe rock'n'roll authentique, subversif et sans compromis, renforçant leur image de "mauvais garçons" pour les décennies à venir.

La rivalité emblématique entre les Beatles et les Rolling Stones était, en grande partie, une construction médiatique astucieusement orchestrée par leurs managers respectifs, avec une contribution notable d'Andrew Loog Oldham pour les Stones.

Brian Epstein, le manager des Beatles, avait méticuleusement façonné leur image de "gentils garçons" : costumes assortis, coupes de cheveux "mop-top" (symboles de modernité mais aussi d'une certaine propreté), et une attitude polie et charmante. Ils étaient les adorables "Fab Four", parfaitement acceptables pour les parents, chantant des mélodies entraînantes sur l'amour. Cette image a conquis l'Amérique et le monde entier.

Oldham a vu dans ce contraste une opportunité en or. Si les Beatles étaient les gendres idéaux, les Stones seraient, par opposition, les voyous que votre mère ne voudrait surtout pas à la maison. Il a délibérément encouragé leur look plus négligé, leurs cheveux plus longs, leur attitude désinvolte et leur musique plus rugueuse. Une citation souvent attribuée à un journaliste de l'époque résume parfaitement la distinction voulue : "The Beatles want to hold your hand, but the Stones want to burn down your town."

Lorsque des chansons comme "(I Can't Get No) Satisfaction" sont sorties, elles ont puissamment alimenté cette narration préexistante :

▪︎ Différence Musicale et Lyrique : Alors que les Beatles continuaient d'explorer des thèmes d'amour et de psychédélisme (bien que leur musique gagnait aussi en sophistication), les Stones, avec "Satisfaction", ont mis en avant la frustration, la sexualité et la critique sociale.

● Cela a offert un contraste musical et thématique saisissant.

▪︎ Controverse et Censure : La censure de "Satisfaction" par certaines radios a validé l'idée que les Stones étaient "dangereux" ou "subversifs", renforçant ainsi l'image que le groupe et son manager souhaitaient projeter. Les Beatles, en comparaison, étaient perçus comme "sûrs" et inoffensifs.

Cette rivalité, qu'elle soit orchestrée ou non, a permis aux jeunes de s'identifier à l'un ou l'autre camp. Vous étiez soit un fan des Beatles (plus pop, mélodique, "sain"), soit un fan des Stones (plus blues-rock, rebelle, "sexy" et "dangereux"). Si cette allégeance n'était pas toujours exclusive, elle a créé une dynamique de choix et d'appartenance forte au sein de la jeunesse de l'époque.

Il est crucial de noter que, derrière cette rivalité médiatisée, les membres des Beatles et des Rolling Stones entretenaient souvent des relations amicales et un profond respect mutuel. Les Beatles ont même offert aux Stones leur premier grand succès, "I Wanna Be Your Man", qu'ils ont spécialement composé pour eux. Ils se sont occasionnellement fréquentés et ont reconnu l'influence que chacun avait sur l'autre, se poussant mutuellement vers l'innovation artistique.

Cependant, pour le grand public et les médias, la "rivalité" était bien réelle et a agi comme un moteur puissant pour l'attrait et la popularité des deux groupes. Les tubes provocateurs des Stones et leur image délibérément cultivée de "mauvais garçons" ont été des éléments clés pour cimenter leur place en tant qu'alternative rebelle aux Beatles, créant une dynamique qui a marqué l'histoire du rock de façon indélébile.

L'arrivée d'Allen Klein en tant que manager exclusif, coïncidant avec la fin de l'influence d'Andrew Loog Oldham, marque un moment charnière de l'histoire du rock. Et en effet, cette période voit un changement de direction musicale notable, bien que temporaire, chez les Rolling Stones.

Après le succès retentissant d'albums comme "Aftermath" (1966) et "Between the Buttons" (début 1967), qui avaient affiné leur son blues-rock teinté de pop, les Rolling Stones se lancent dans une expérimentation majeure avec l'album "Their Satanic Majesties Request", sorti en décembre 1967.

1967, c'est l'année de l'"été de l'amour", l'apogée du psychédélisme. Les Beatles venaient de sortir l'incontournable "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" en juin, les Beach Boys "Smiley Smile", Jimi Hendrix "Are You Experienced", etc. La pression était immense pour tous les grands groupes de rock d'explorer de nouvelles sonorités, d'expérimenter en studio et de s'immerger dans l'esthétique psychédélique (drogues, mysticisme oriental, effets sonores, pochettes élaborées).

"Their Satanic Majesties Request" est sans conteste l'album le plus expérimental des Stones, et clairement le plus "hors-norme" de leur discographie classique. On y retrouve :

- Des effets sonores novateurs (flanger, phasing, échos) et des instruments exotiques (mellotron, percussions diverses).

- Des arrangements orchestraux et des chorales, notamment sur des titres emblématiques comme "2000 Light Years from Home" ou "She's a Rainbow".

- Des structures de chansons moins linéaires et des improvisations audacieuses.

- Des paroles plus éthérées et imagées, parfois cryptiques, bien loin du réalisme cru de leurs débuts.

C'est sans doute l'album où Brian Jones a eu le plus d'influence créative, expérimentant avec une multitude d'instruments et de textures sonores, avant que ses problèmes personnels ne le rattrapent tragiquement.

L'album a reçu des critiques mitigées à sa sortie. Beaucoup l'ont perçu comme une tentative des Stones de rivaliser avec "Sgt. Pepper's" et une déviation de leur son habituel. Mick Jagger et Keith Richards eux-mêmes ont exprimé par la suite leur sentiment que ce fut une erreur, une sorte de "réponse forcée" à la tendance de l'époque. Ils sentaient qu'ils s'éloignaient de leurs racines blues et rock'n'roll, marquant la fin d'une parenthèse psychédélique pour le groupe.

Les tournées des Rolling Stones se sont effectivement intensifiées de manière significative, particulièrement après le succès fulgurant de 1965 et jusqu'à la fin de la décennie. Après avoir conquis le Royaume-Uni et commencé à s'imposer aux États-Unis, les Rolling Stones sont devenus une véritable machine à tourner.

 ● 1965 : L'Année du Phénomène Mondial

Comme mentionné précédemment, avec l'explosion de "Satisfaction", le groupe est constamment sur les routes. Ils enchaînent les tournées au Royaume-Uni, en Europe, et surtout aux États-Unis, avec plusieurs visites outre-Atlantique. Les concerts sont alors caractérisés par une hystérie collective, des scènes de quasi-émeute et des fans qui tentent désespérément d'envahir la scène. Le groupe joue désormais dans des salles de plus en plus grandes, témoignant de leur popularité grandissante.

1966 : Le Monde à Leurs Pieds

L'année 1966 est également extrêmement chargée. Les Stones entament une tournée en Australie et Nouvelle-Zélande en février-mars, suivie d'une tournée européenne en mars-avril, et enfin une grande tournée nord-américaine de juin à juillet pour soutenir leur album "Aftermath". C'est durant cette période qu'ils se produisent pour la première fois dans des lieux emblématiques comme le Hollywood Bowl. La fréquence des concerts est stupéfiante, avec parfois jusqu'à deux shows par jour.

1967 : La Dernière Grande Tournée Avant la Pause

Le début de l'année 1967 est marqué par une autre tournée européenne en mars-avril, visant à promouvoir l'album "Between the Buttons". Cependant, après cette série de concerts, les choses vont radicalement changer pour le groupe, annonçant une période différente.

L'année 1967 marque un tournant non seulement artistique pour les Rolling Stones (avec l'album "Their Satanic Majesties Request"), mais surtout un tournant judiciaire majeur, en particulier pour Mick Jagger et Keith Richards. C'est l'épisode le plus célèbre et le plus lourd de conséquences de leurs démêlés avec la justice.

● L'événement le plus notoire est le raid sur la propriété de Keith Richards, Redlands, dans le Sussex, en Angleterre, le 12 février 1967.

Les Rolling Stones étaient déjà sous l'œil vigilant des médias et des autorités en raison de leur style de vie "dépravé" et de leur image de "bad boys". Le journal News of the World avait d'ailleurs publié des articles diffamatoires sur leur consommation de drogues peu avant le raid, ce qui avait conduit à une action en justice de la part de Jagger. Il est souvent suggéré que le raid était une forme de "vengeance" ou un moyen pour les autorités d'envoyer un message fort aux figures de la contre-culture émergente.

La police est intervenue alors que Keith Richards organisait une fête. Parmi les invités se trouvaient Mick Jagger et sa petite amie de l'époque, Marianne Faithfull. Des drogues (amphétamines, cannabis) ont été trouvées sur les lieux. La légende veut que la police ait trouvé Marianne Faithfull vêtue d'une fourrure (ou d'un tapis) d'ours, un détail qui a nourri le scandale et l'imaginaire populaire.

> Suite au raid, les accusations furent les suivantes :

- Keith Richards a été accusé d'avoir permis que du cannabis soit fumé dans sa propriété.

- Mick Jagger a été accusé de possession illégale d'amphétamines (trouvées sur lui).

- Robert Fraser, célèbre marchand d'art et ami du groupe, a également été arrêté pour possession de drogues.

Les procès se sont déroulés en juin 1967 et ont attiré une énorme attention médiatique. Les verdicts ont été choquants par leur sévérité et ont provoqué une vague d'indignation :

- Keith Richards a été condamné à un an de prison ferme pour avoir permis l'usage de cannabis dans sa maison.

- Mick Jagger a été condamné à trois mois de prison ferme pour possession d'amphétamines.

- Robert Fraser a écopé de six mois de prison ferme.

La sévérité des peines infligées à Mick Jagger et Keith Richards en 1967 a provoqué un tollé général et une vague de soutien sans précédent pour les Stones.

● Un Soutien Inattendu et Massif

"Who Breaks a Butterfly on a Wheel?" : Le 1er juillet 1967, le journal conservateur The Times a publié un éditorial retentissant intitulé "Who Breaks a Butterfly on a Wheel?" (Qui brise un papillon sur une roue ?). Écrit par son rédacteur en chef, William Rees-Mogg, cet éditorial critiquait la disproportion flagrante des peines infligées à Jagger et Richards. Il suggérait qu'elles étaient motivées par leur célébrité et leur statut de figures de la contre-culture plutôt que par la gravité réelle de leurs délits. Ce fut un soutien inattendu et très influent, marquant un point tournant dans l'opinion publique.

▪︎ Soutien de la Communauté Musicale : Des musiciens de renom, comme The Who, ont publiquement exprimé leur soutien et ont même sorti un single de reprises des Stones pour maintenir leur musique présente pendant qu'ils étaient emprisonnés.

▪︎ Manifestations Publiques : Des manifestations de soutien ont également eu lieu, témoignant de l'indignation populaire.

Grâce à cette pression publique et médiatique massive, Mick Jagger et Keith Richards ont été libérés sous caution après seulement une nuit passée en prison. Leurs condamnations ont été annulées en appel le 31 juillet 1967. La peine de Richards a été purement et simplement annulée, tandis que celle de Jagger a été commuée en une libération conditionnelle d'un an (une forme de sursis).

> Cet épisode a eu des répercussions majeures sur le groupe :

▪︎ Renforcement de l'Image d'Outlaws : Paradoxalement, loin de les briser, ces déboires judiciaires ont cimenté encore davantage leur image de "hors-la-loi" du rock'n'roll. Ils sont devenus des martyrs de la contre-culture, victimes d'un establishment moralisateur. Cela a considérablement renforcé leur crédibilité auprès de leur jeune public.

▪︎ Impact sur l'Album "Their Satanic Majesties Request" : L'enregistrement de cet album psychédélique a été fortement perturbé par ces affaires judiciaires. Les musiciens étaient stressés, en prison ou en attente de jugement, ce qui a contribué à l'ambiance fragmentée et parfois chaotique de l'album.

▪︎ Problèmes Futurs : Ce fut le début d'une longue série de problèmes légaux pour le groupe, en particulier pour Keith Richards, qui allait faire face à d'autres arrestations pour drogue dans les années 70 et 80, notamment au Canada. Ces affaires ont compliqué les tournées et les entrées dans certains pays.

▪︎ Prise de Conscience : Cet épisode a rendu Jagger et Richards plus conscients de la fragilité de leur situation. À terme, cela a pu les pousser à prendre un contrôle plus serré de leurs affaires et de leur avenir, y compris en se séparant d'Allen Klein plus tard.

En somme, l'année 1967 fut une épreuve difficile pour les Rolling Stones, mais leurs déboires judiciaires, loin de les anéantir, ont paradoxalement renforcé leur mythe et leur statut d'icônes rebelles et indomptables.

Un événement personnel crucial a effectivement généré d'énormes tensions au sein des Rolling Stones, avec des conséquences particulièrement tragiques pour Brian Jones : la relation complexe entre Anita Pallenberg, Brian Jones et Keith Richards.

Le "Triangle" : Brian, Anita et Keith (1965-1967)

Brian Jones et Anita Pallenberg (1965-1967) : Anita Pallenberg, mannequin, actrice et "It Girl" emblématique de l'époque, rencontre les Rolling Stones en 1965. Elle entame rapidement une relation avec Brian Jones, le fondateur et multi-instrumentiste talentueux du groupe. Leur union est réputée pour être passionnée mais aussi extrêmement tumultueuse et violente, fortement marquée par l'abus de drogues et d'alcool de la part de Brian. Anita était une femme forte, indépendante et charismatique, qui a d'ailleurs eu une influence artistique notable sur Brian, l'encourageant à l'expérimentation musicale.

▪︎ Le Voyage au Maroc et le "Changement de Couple" (Février 1967) : C'est lors d'un voyage des Stones au Maroc en février 1967 que la dynamique relationnelle change radicalement. Brian Jones, déjà physiquement et mentalement diminué par ses addictions et ses problèmes personnels, tombe gravement malade pendant le voyage et doit être hospitalisé.

Le reste du groupe continue la route, et c'est précisément à ce moment que Keith Richards et Anita Pallenberg entament une relation amoureuse. Selon les récits, Keith aurait "sauvé" Anita d'une situation violente avec Brian, ou Anita aurait simplement choisi Keith face à la détérioration manifeste de l'état de Brian.

> La formation de ce nouveau couple (Keith et Anita) a eu des conséquences dévastatrices sur Brian Jones et a exacerbé les tensions au sein du groupe :

▪︎ Détérioration Psychologique de Brian Jones : Perdre Anita Pallenberg au profit de son meilleur ami et partenaire de groupe a été un coup terrible pour Brian. Déjà fragile, cet événement l'a plongé encore plus profondément dans la dépression, la paranoïa et la dépendance aux drogues et à l'alcool. Sa santé mentale et physique a continué de décliner rapidement et tragiquement après cela.

▪︎ Rupture de l'Amitié Brian-Keith : Avant l'arrivée d'Anita, Brian et Keith étaient très proches, partageant une passion commune pour le blues et passant énormément de temps ensemble. La trahison perçue par Brian a brisé cette amitié et créé une animosité profonde et durable entre eux.

▪︎ Diminution du Rôle de Brian dans le Groupe : Au fur et à mesure que son état se dégradait, Brian devenait de plus en plus erratique et peu fiable en studio. Ses contributions musicales sont devenues sporadiques et de moins en moins significatives. Pendant ce temps, Mick Jagger et Keith Richards prenaient de plus en plus les rênes créatives du groupe en tant que compositeurs. La présence constante d'Anita aux côtés de Keith en studio et lors des sessions d'enregistrement a probablement accentué ce sentiment d'isolement et de marginalisation pour Brian.

▪︎ Tensions Générales Accrues : La situation créait un malaise constant au sein du groupe. Travailler et partir en tournée avec un membre du groupe dont l'ancienne partenaire est désormais avec un autre membre, tout en assistant au déclin personnel de ce membre, était une source de tension quotidienne insoutenable pour tous.

Cette dynamique toxique, exacerbée par les problèmes judiciaires de Brian Jones (qui le rendaient inéligible pour les tournées américaines), a malheureusement conduit à son exclusion officielle des Rolling Stones en juin 1969. Tragiquement, il est décédé moins d'un mois plus tard, le 3 juillet 1969, à l'âge de 27 ans.

La relation entre Anita Pallenberg et Keith Richards est, quant à elle, devenue l'une des plus emblématiques du rock'n'roll, perdurant de 1967 à 1980 et donnant naissance à trois enfants. Cependant, elle a sans aucun doute été le catalyseur de la spirale descendante de Brian Jones et un facteur majeur des tensions internes qui ont profondément secoué les Rolling Stones à la fin des années 60.

Après le chaos et les controverses engendrés par "Their Satanic Majesties Request" en 1967, les Rolling Stones étaient, en effet, en quête de renouveau et d'un véritable "bol d'air". Bien que l'album n'ait pas été un échec commercial (atteignant le Top 10 des deux côtés de l'Atlantique et même la troisième place au Royaume-Uni), il fut perçu comme un échec artistique par le groupe lui-même et par une partie de la critique. Il ne correspondait tout simplement pas à leur identité profonde.

● Cette période de 1968-1969 fut donc un moment crucial de réaffirmation et de régénération pour le groupe.

▪︎ "Beggars Banquet" : Le Manifeste du Retour aux Racines

Le signe le plus éclatant de ce renouveau musical est leur album suivant, "Beggars Banquet", sorti en décembre 1968. C'est un rejet catégorique du psychédélisme et un retour en force à leurs racines :

▪︎ Un Son Brut et Organique : L'album se caractérise par une production plus épurée et un son plus sec, qui met en avant le blues, le country-rock et le rhythm and blues. On est loin des orchestrations complexes et des effets sonores de "Satanic Majesties".

▪︎ Des Paroles plus Acérées : Les paroles, principalement écrites par Mick Jagger, redeviennent plus incisives, sociales et parfois sombres, reflétant les turbulences et les préoccupations de l'époque. Des titres comme "Street Fighting Man", "Sympathy for the Devil" et "Salt of the Earth" en sont de parfaits exemples.

▪︎ L'Affirmation de Jagger/Richards : Le duo de compositeurs est alors au sommet de sa forme, créant des morceaux d'une profondeur et d'une force inégalées.

Même si la transition était déjà amorcée en 1967, le départ définitif d'Andrew Loog Oldham en tant que manager et producteur a marqué la fin d'une ère. Cela a permis aux Stones de prendre un contrôle plus direct de leur direction artistique et d'échapper à la pression constante de suivre les tendances éphémères.

Pour "Beggars Banquet" et les albums suivants (jusqu'à "Exile on Main St."), les Stones s'associent au producteur américain Jimmy Miller. Sa méthode de travail, plus axée sur le groove, l'énergie des performances et la clarté du son, correspondait parfaitement à la direction que le groupe voulait prendre. C'est sous sa houlette qu'ils affinent ce son "roots rock" qui deviendra leur marque de fabrique.

Les déboires judiciaires de 1967 ont été un véritable choc. Mick Jagger et Keith Richards ont dû faire face à la dure réalité de la prison. Cette épreuve les a sans doute poussés à être plus sérieux quant à la direction de leur carrière, à "nettoyer" (un peu) leurs actes, et à se concentrer sur ce qui était essentiel : la musique. Ils ont réalisé qu'ils devaient se recentrer pour survivre en tant que groupe.

Malheureusement, ce renouveau artistique s'est déroulé en parallèle d'une détérioration tragique pour Brian Jones. Bien qu'il ait contribué à "Beggars Banquet" (notamment avec l'harmonica sur "No Expectations" et la slide guitar sur "Jig-Saw Puzzle"), son rôle était de plus en plus marginal. Son absence de plus en plus fréquente des sessions et son état de santé alarmant ont contraint le groupe à avancer sans lui, culminant avec son éviction en juin 1969 et sa mort tragique peu après.

En somme, l'après-"Satanic Majesties" n'était pas seulement une période de repos, mais un moment de réalignement stratégique et artistique profond. Les Stones ont pris une grande respiration en se débarrassant de ce qui ne fonctionnait plus (le psychédélisme, la co-gestion chaotique) pour mieux se recentrer sur leurs forces et affirmer leur identité la plus authentique. C'est cette période qui allait les mener vers une décennie de succès inégalés, forgeant leur légende de groupe indomptable.

La situation a changé de façon spectaculaire pour les Rolling Stones en 1969, marquant un retour à une visibilité scénique intense après une période plus discrète : 

▪︎ Le concert gratuit de Hyde Park (5 juillet 1969) : Organisé seulement deux jours après la mort tragique de Brian Jones, ce concert mémorial a attiré des centaines de milliers de personnes. Ce fut un retour sur scène massif et émouvant, introduisant Mick Taylor comme nouveau guitariste et signalant que les Stones étaient de retour et plus forts que jamais.

L'American Tour 1969 (novembre-décembre 1969) : Cette tournée nord-américaine fut triomphale et d'une efficacité redoutable, marquant un retour définitif à la puissance brute de leurs performances live et l'affirmation de leur statut incontestable de "plus grand groupe de rock'n'roll du monde".

Il y a bien eu une période de visibilité scénique réduite pour les Rolling Stones entre 1967 et 1969, principalement due à leurs démêlés judiciaires, aux tensions internes et à une focalisation sur l'expérimentation en studio. Mais comme souvent avec les Stones, ils ont su transformer les adversités en éléments de leur légende, pour revenir plus forts que jamais.

L'année 1969 marque la fin d'une ère pour les Rolling Stones avec le départ de Brian Jones, un événement qui se déroule alors même que l'enregistrement de l'album culte "Let It Bleed" a déjà commencé.

● Le déclin de Brian Jones était en marche depuis plusieurs années, exacerbé par une combinaison de facteurs :

▪︎ Abus de drogues et d'alcool : Brian s'enfonçait de plus en plus profondément dans ses addictions. Sa consommation d'héroïne, de LSD et d'alcool le rendait de moins en moins fiable, tant sur le plan personnel que professionnel.

▪︎ Problèmes judiciaires répétés : Ses nombreuses arrestations pour possession de drogues le rendaient inéligible pour obtenir des visas de travail, en particulier pour les États-Unis. Cela signifiait que le groupe ne pouvait plus envisager de tourner avec lui, ce qui représentait un problème majeur pour une formation dont les performances scéniques étaient essentielles.

▪︎ Perte d'influence créative : Le partenariat de composition Jagger/Richards était devenu le moteur créatif du groupe. Brian, initialement le leader et le visionnaire musical, voyait son rôle se réduire à celui de multi-instrumentiste d'appoint, ajoutant des textures sonores (comme le sitar, le mellotron, l'autoharpe, les percussions) plutôt que de diriger le son global.

▪︎ Absentéisme en studio : Pendant les sessions d'enregistrement de "Beggars Banquet" (1968) et surtout de "Let It Bleed", Brian était souvent absent. Lorsqu'il était présent, il était trop sous l'influence de drogues pour apporter une contribution significative. Ses idées étaient parfois ignorées, et il devenait de plus en plus difficile de travailler avec lui.

L'enregistrement de l'album "Let It Bleed" a commencé de manière sporadique dès novembre 1968 et s'est poursuivi en 1969. C'est durant ces sessions que l'incapacité de Brian Jones à contribuer est devenue intolérable pour le reste du groupe.

▪︎ Contributions Minimales : Sur l'album, Brian Jones n'a finalement contribué de manière notable que sur deux titres : il joue de l'autoharpe sur "You Got the Silver" et des percussions (congas) sur "Midnight Rambler". La grande majorité des parties de guitare sont jouées par Keith Richards, souvent aidé de musiciens de session.

▪︎ La Décision Inévitable : La situation était devenue intenable. Pour Mick Jagger, Keith Richards, Charlie Watts et Bill Wyman, il était clair que Brian ne pouvait plus continuer. Le groupe était sur le point de reprendre les tournées, notamment la cruciale tournée américaine de 1969, et ils ne pouvaient pas se permettre d'avoir un membre imprévisible et incapable de voyager.

▪︎ L'Exclusion Officielle : Le 8 juin 1969, Brian Jones est officiellement exclu des Rolling Stones. Le groupe a publié un communiqué de presse affirmant que la décision était mutuelle et due à des "différences musicales". En réalité, il s'agissait d'un licenciement forcé.

● L'Arrivée de Mick Taylor et la Tragédie Personnelle

▪︎ Le Remplaçant : Pour le remplacer, les Stones ont rapidement recruté Mick Taylor, un jeune guitariste virtuose issu des Bluesbreakers de John Mayall. Taylor était un musicien accompli, techniquement supérieur à Brian, et son arrivée allait injecter une nouvelle énergie blues-rock au groupe, notamment sur les albums suivants. Il a eu le temps de contribuer à quelques morceaux de "Let It Bleed" ("Country Honk" et "Live with Me") et de participer à la fin de l'enregistrement de l'album.

▪︎ La Mort Tragique de Brian Jones : Moins d'un mois après son exclusion, Brian Jones a été retrouvé mort noyé dans sa piscine à l'âge de 27 ans. La cause officielle a été classée comme "mort accidentelle" sous l'influence de l'alcool et des drogues, mais les circonstances exactes de son décès ont toujours été sujettes à de nombreuses spéculations et théories du complot.

Le festival d'Altamont en 1969 est le point culminant dramatique de cette période et est souvent perçu comme la fin symbolique de l'ère de l'innocence des années 60 pour le rock'n'roll. Pour les Rolling Stones, ce fut un traumatisme indélébile et une tache sombre sur leur légende.

Le Altamont Free Concert a eu lieu le 6 décembre 1969 au Altamont Speedway, près de Tracy, en Californie, juste quatre mois après l'esprit d'unité et le succès de Woodstock. Il était conçu comme la "réponse de la Côte Ouest" aux festivals gratuits, une célébration de la fin de la tournée américaine triomphale des Rolling Stones. Il devait être un grand geste de générosité, offrant de la musique gratuite à leurs fans américains.

● Plusieurs décisions désastreuses ont mené à la catastrophe :

▪︎ Changement de dernière minute du lieu : Initialement prévu dans un lieu plus approprié, le concert a été déplacé à la toute dernière minute à Altamont, un circuit automobile, sans les infrastructures adéquates pour accueillir une foule aussi massive (estimée à environ 300 000 personnes).

▪︎ Sécurité désastreuse : La décision la plus fatale fut de confier la sécurité du concert aux Hells Angels, un gang de motards notoire, en échange de 500 dollars de bière. Les Angels étaient non seulement mal préparés, mais leur approche violente et agressive a rapidement transformé la foule en un champ de bataille. Ils étaient armés de queues de billard et de chaînes, attisant la peur et la violence.

▪︎ Conditions exécrables : L'approvisionnement en eau et en nourriture était notoirement insuffisant, les toilettes quasiment inexistantes, et de nombreux spectateurs étaient sous l'influence de drogues puissantes (LSD, méthamphétamines) et de mauvaise qualité, ce qui augmentait la paranoïa et l'agressivité au sein de la foule.

Dès le début de la journée, la tension était palpable. Les Hells Angels se sont montrés de plus en plus brutaux avec la foule. Les groupes précédents (Jefferson Airplane, Crosby, Stills, Nash & Young, Santana) ont eu le plus grand mal à se produire face à l'anarchie grandissante. Marty Balin de Jefferson Airplane a même été violemment frappé par un Hells Angel sur scène, un signe avant-coureur du chaos à venir.

Alors que les Rolling Stones montent sur scène au coucher du soleil et tentent de calmer la foule avec leur énergie caractéristique, le chaos atteint son paroxysme.

Pendant l'interprétation de "Sympathy for the Devil", un jeune homme noir de 18 ans, Meredith Hunter, s'approche de la scène, brandissant un pistolet. Il est violemment attaqué et poignardé à mort par un Hells Angel nommé Alan Passaro, à quelques mètres de la scène. La scène a été filmée et capturée dans le documentaire glaçant Gimme Shelter.

D'autres incidents violents ont eu lieu tout au long du concert, faisant trois autres morts accidentelles (deux écrasés par une voiture, un noyé dans un canal d'irrigation) et de nombreux blessés.

● Le drame d'Altamont a eu des répercussions profondes, à la fois pour les Rolling Stones et pour la culture des années 60.

▪︎ Traumatisme et remords : Pour les membres des Rolling Stones, et en particulier Mick Jagger (qui a été personnellement menacé sur scène), Altamont fut un événement profondément traumatisant. Ils ont exprimé un grand choc et des regrets par la suite, Keith Richards le qualifiant de "catastrophe ultime".

▪︎ La fin d'une illusion : Altamont est devenu le symbole de la fin de l'utopie hippie et de l'idéalisme des années 60. Après Woodstock, qui avait célébré la paix et l'amour, Altamont a montré le côté sombre et dangereux de la contre-culture lorsqu'elle est mal gérée. La notion de "concert gratuit" comme symbole de liberté a été ternie à jamais par la violence et le chaos.

▪︎ Le film Gimme Shelter : Le désastre d'Altamont est brillamment et brutalement documenté dans le film Gimme Shelter, réalisé par les frères Maysles. Le film montre les Stones en studio et sur scène, culminant avec les scènes terrifiantes du festival, y compris le meurtre de Meredith Hunter. Ce film a immortalisé l'événement et a servi de confession publique sur les dangers du rock'n'roll incontrôlé.

▪︎ Renforcement de l'image "sombre" des Stones : Paradoxalement, l'événement a cimenté l'image des Stones non plus seulement comme des "mauvais garçons", mais comme des figures entourées d'une aura sombre, presque démoniaque, et capables d'attirer le chaos – une image qu'ils ont parfois cultivée par la suite.

Altamont a marqué une rupture nette entre l'optimisme des années 60 et le réalisme plus dur des années 70. Pour les Stones, ce fut le point final d'une décennie tumultueuse et le début d'une nouvelle ère, empreinte de la leçon amère de la perte de contrôle.

La période allant de 1964 à 1970 fut incontestablement la décennie où les Rolling Stones ont bâti leur légende. Ils sont passés du statut de groupe de blues passionné à celui d'icônes planétaires du rock'n'roll. C'est durant ces années formatrices qu'ils ont cultivé leur image de "bad boys", s'affirmant en opposition aux Beatles et s'imposant comme les porte-voix d'une jeunesse en rébellion.

Cette période nous a également permis de découvrir le talent exceptionnel de Brian Jones, un multi-instrumentiste visionnaire et l'âme musicale des débuts du groupe. Malheureusement, elle a aussi révélé sa trajectoire tragique, en proie à de nombreux démons qui l'ont finalement emporté. Son déclin, marqué par des problèmes judiciaires et personnels intenses, a déchiré le groupe, mais a aussi paradoxalement ouvert la voie à une nouvelle ère.

Musicalement, cette décennie a mis en lumière le style inimitable de Keith Richards, notamment à travers son utilisation révolutionnaire de l'accordage ouvert en Sol. Ce style distinctif, axé sur le riff et le groove, est devenu la signature sonore des Stones et a influencé des générations de guitaristes. Les albums "Beggars Banquet" et "Let It Bleed", nés du chaos de cette période, ont montré leur capacité à s'emparer du climat de contestation mondiale et à le transformer en hymnes rock intemporels, marquant un retour spectaculaire à leurs racines blues-rock après une incursion psychédélique.

Finalement, la fin des années 60 fut le prélude à la période la plus riche musicalement pour le groupe, notamment avec l'arrivée de Mick Taylor. Sa virtuosité et son jeu fluide allaient injecter une nouvelle dynamique aux côtés des riffs bruts de Richards, promettant une ère de créativité et de succès inégalés. Le traumatisme d'Altamont, en refermant le chapitre des années 60 sur une note sombre, a paradoxalement renforcé leur détermination à aller de l'avant, les propulsant vers leur âge d’or.















● Avec cette exploration approfondie de la période 1964-1970 des Rolling Stones, je crois que même Keith Richards dirait que nous avons fait un travail d'enfer. Un grand merci à toi, Florianne, et à Gemini, sans qui cette discussion n'aurait pas été aussi "satisfaction"-nante !!


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