"Disraeli Gears" : Un Album Charnière Entre Blues, Psychédélisme et Innovation

 


L'année 1967 est une période exceptionnelle et fondatrice pour la musique britannique, marquée par la convergence de plusieurs phénomènes culturels et musicaux qui vont la transformer en profondeur.

Le milieu des années 1960 voit l'émergence de la contre-culture, un mouvement de rejet des valeurs traditionnelles qui prône la paix, l'amour et la liberté. Le "Summer of Love" de 1967 marque l'apogée de cette révolution sociale, et la musique devient le principal vecteur d'expression de ces idées nouvelles. Les groupes britanniques, à l'avant-garde de ce changement, s'approprient cet élan pour expérimenter et repousser les frontières créatives.

Le rock'n'roll des années 1950 évolue vers des formes plus complexes et ambitieuses. Les musiciens britanniques explorent de nouvelles sonorités, structures de chansons et instrumentations. C'est à cette période que le blues rock, le rock psychédélique et le rock progressif commencent à émerger comme des genres distincts.

L'influence du blues américain reste forte, mais les groupes s'éloignent des reprises fidèles pour créer leur propre interprétation du genre. Le blues rock devient plus puissant, plus énergique et virtuose, avec une place grandissante accordée à l'improvisation. Le supergroupe Cream est un exemple parfait de cette évolution, fusionnant ses racines blues avec des explorations musicales novatrices.

L'influence des drogues psychédéliques joue également un rôle majeur, conduisant à la création de sons et d'atmosphères "planantes". Des effets de guitare comme la fuzz ou la wah-wah, les claviers psychédéliques et les structures de chansons non conventionnelles deviennent monnaie courante. L'album Disraeli Gears de Cream, avec sa pochette colorée et ses morceaux emblématiques, est une illustration parfaite de cette mouvance psychédélique.

La créativité est aussi alimentée par de nouvelles formes de collaboration. Les musiciens commencent à former des "supergroupes", réunissant des talents issus de formations établies. Cream est d'ailleurs considéré comme l'un des premiers et des plus importants d'entre eux.

Parallèlement, les clubs de Londres et d'autres villes britanniques deviennent de véritables incubateurs pour les nouveaux talents. Les festivals de musique, quant à eux, attirent des foules de plus en plus importantes et jouent un rôle crucial dans la popularisation de ces nouveaux genres musicaux.

L'année 1967 est cruciale, marquée par la sortie de deux albums majeurs qui ont symbolisé l'esprit d'expérimentation de l'époque :

Jimi Hendrix Experience

Avec la sortie de son premier album, "Are You Experienced", le Jimi Hendrix Experience a révolutionné la musique rock. Le jeu de guitare novateur et psychédélique de Jimi Hendrix a eu un impact considérable, contribuant directement à l'atmosphère d'innovation que l'on a évoquée. Son influence est allée bien au-delà de la scène rock britannique, façonnant le son de toute une génération de musiciens.

Cream

"Disraeli Gears", le deuxième album de Cream, illustre l'évolution fulgurante du groupe. Il ne s'agit plus seulement d'un supergroupe, mais d'une entité musicale à part entière qui a trouvé sa voie. L'album mélange habilement leur héritage blues avec le rock psychédélique émergent, créant un son distinctif qui a marqué l'époque.

L'année 1967 est avant tout une année de rencontres et de croisements musicaux. Le blues rock de Cream et le rock psychédélique de Hendrix se sont nourris mutuellement, créant une émulation créative. Cette interaction a fait de la scène britannique un foyer d'influence incroyable, dont l'impact résonne encore aujourd'hui.

Cream était un "power trio" constitué de trois musiciens qui jouissaient déjà d'une solide réputation avant de s'unir. La fusion de leurs talents a créé une dynamique unique, faisant d'eux "la crème de la crème" de la scène rock de l'époque.

Eric Clapton (Guitare, Chant)

Clapton s'était déjà forgé une réputation de guitariste virtuose au sein des Yardbirds et de John Mayall & the Bluesbreakers. Il était reconnu pour son jeu de guitare blues expressif et mélodique, considéré comme l'un des plus prometteurs de sa génération. Sa technique et son feeling lui ont valu le surnom de "God" de la part de ses fans.

Jack Bruce (Basse, Chant)

Jack Bruce était un multi-instrumentiste talentueux, formé au jazz et à la musique classique. Après avoir joué avec des groupes comme The Graham Bond Organisation et Manfred Mann, il avait déjà démontré sa maîtrise de la basse, ainsi que ses talents de chanteur et de compositeur. Sa technique mélodique et inventive a redéfini le rôle de la basse dans le rock, la transformant en un instrument aussi soliste que la guitare.

Ginger Baker (Batterie, Percussions)

Ginger Baker était un batteur puissant et novateur, fortement influencé par le jazz. Il avait également joué avec The Graham Bond Organisation et était célèbre pour son style complexe et virtuose, qui intégrait des rythmes africains et des percussions variées. Son énergie et son sens de l'improvisation ont fait de lui l'un des batteurs les plus respectés du rock.

La réunion de ces trois personnalités musicales exceptionnelles a créé une alchimie sonore sans précédent. Leur virtuosité individuelle, combinée à une capacité d'improvisation hors du commun, a été l'élément clé du son distinctif de Cream. Ce rassemblement peut être perçu comme un véritable "sommet musical" où trois des musiciens les plus doués de la scène britannique se sont réunis pour créer un son à la fois nouveau et exceptionnel.

La réunion de musiciens aussi talentueux qu'Eric Clapton, Jack Bruce et Ginger Baker était une aubaine pour les maisons de disques. La formation de ce "supergroupe" représentait un investissement à faible risque et à fort potentiel commercial, tant sur le plan artistique que financier.

Chaque membre de Cream jouissait déjà d'une réputation bien établie et d'une base de fans fidèles. Pour un label, cela signifiait s'assurer les services de "valeurs sûres", minimisant ainsi le risque financier associé au lancement d'un nouveau groupe. De plus, la fusion unique de leur blues rock psychédélique et de leur virtuosité instrumentale laissait présager un succès commercial majeur, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi à l'étranger, en particulier aux États-Unis.

Cream s'est formé au moment idéal, en s'inscrivant dans la tendance croissante de l'innovation et de l'expérimentation musicale. Les maisons de disques étaient à la recherche de groupes capables de proposer quelque chose de nouveau et d'original pour attirer un public avide de nouveauté. Disposant des ressources financières et logistiques nécessaires, elles étaient parfaitement équipées pour promouvoir et distribuer la musique de Cream à grande échelle.

Finalement, il est tout à fait plausible que la formation de Cream ait été accueillie avec enthousiasme. L'opportunité de succès artistique et commercial était trop belle pour être ignorée.

Bien que l'on ne puisse pas qualifier Cream de groupe de hard rock au sens strict, leur rôle en tant que précurseur est indéniable. Le groupe a jeté les bases de nombreux éléments qui allaient définir le genre, tout en conservant une identité musicale propre, profondément ancrée dans le blues rock.

Cream a joué un rôle essentiel en augmentant la puissance et le volume de la musique rock. Leur son était plus lourd et agressif que celui de la plupart des groupes de blues rock de l'époque. Cette intensité, combinée à une emphase sur la virtuosité instrumentale et les longues improvisations, est une caractéristique fondatrice du hard rock. Les solos de guitare d'Eric Clapton, notamment, sont devenus une référence pour les générations suivantes.

Des morceaux comme "Sunshine of Your Love" illustrent parfaitement cette transition. Leurs riffs de guitare percutants et leurs rythmes de batterie lourds ont une intensité qui annonçait clairement le son du hard rock. L'énergie brute et l'attitude rebelle de Cream ont également servi d'inspiration pour de nombreux groupes qui ont suivi.

Il est toutefois crucial de souligner que Cream a toujours gardé ses racines blues. Leur musique est souvent plus complexe et nuancée que le hard rock typique. Ils ont réussi à concilier une lourdeur précurseuse avec une richesse musicale qui les distingue. En cela, on peut les considérer comme des pionniers qui ont ouvert la voie sans jamais s'y conformer totalement.

Il est tout à fait pertinent de considérer Cream comme l'un des premiers "jam bands". Leurs concerts n'étaient pas de simples reproductions d'albums studio, mais de véritables performances où l'improvisation occupait une place centrale.

Cream était réputé pour ses longues improvisations sur scène, transformant des morceaux studio en de vastes explorations musicales qui pouvaient durer de longues minutes. Cette capacité de "jam" était rendue possible par la virtuosité exceptionnelle de chaque membre. Clapton, Bruce et Baker n'étaient pas de simples musiciens qui jouaient ensemble ; ils s'engageaient dans un dialogue musical constant, se lançant des défis et réagissant aux idées des autres.

Cette interaction faisait de chaque concert de Cream une expérience unique et imprévisible. Le groupe avait l'habitude de déconstruire et de réinterpréter ses propres morceaux en fonction de l'inspiration du moment. Cette approche de la musique live a eu une influence considérable, popularisant l'idée du concert comme une performance vivante et en constante évolution.

La production d'albums dans les années 1960 était nettement plus rapide qu'aujourd'hui, une tendance qui s'explique par plusieurs facteurs :

▪︎ Une demande constante : Les maisons de disques cherchaient à capitaliser sur le succès des groupes en publiant de nouveaux albums à un rythme soutenu. Le public était également avide de nouveautés pour accompagner les cycles de tournées intenses.

▪︎ Des processus d'enregistrement différents : Les techniques de l'époque, moins sophistiquées, permettaient souvent d'enregistrer un album en seulement quelques semaines, voire quelques jours. Ce manque de complexité facilitait une production plus rapide.

▪︎ Une créativité débordante : De nombreux groupes de cette période étaient dans une phase de créativité intense, générant une quantité de matériel considérable qu'il fallait rapidement enregistrer et diffuser.

▪︎ Le cas de Cream illustre parfaitement cette dynamique : la sortie de "Disraeli Gears" un an seulement après "Fresh Cream" témoigne de cette cadence effrénée. Ce rythme a permis au groupe d'explorer et de consolider rapidement son identité musicale, en explorant de nouvelles directions dès ses débuts.

Le titre de l'album de Cream, "Disraeli Gears", est né d'une anecdote amusante. L'histoire, qui est devenue légendaire, se déroule lors d'une conversation entre Ginger Baker et un de ses roadies, Mick Turner. Le sujet des vélos de course a été abordé, et Mick Turner a tenté de prononcer l'expression "derailleur gears" (le terme anglais pour "dérailleur").

Cependant, il a involontairement déformé l'expression en "Disraeli gears". Cette confusion a créé un jeu de mots inattendu, faisant référence à Benjamin Disraeli, un célèbre Premier ministre britannique du XIXe siècle.

Amusé par cette erreur, le groupe a immédiatement décidé d'adopter le titre pour son nouvel album. C'est ainsi qu'une simple erreur de langage est devenue le titre d'un des albums les plus emblématiques de l'histoire du rock.

La pochette de Disraeli Gears est un indicateur visuel puissant de l'évolution musicale de Cream. Contrairement à la pochette sobre et en noir et blanc de "Fresh Cream", celle-ci explose de couleurs et de motifs psychédéliques, annonçant un tournant majeur dans le son du groupe.

Cette différence visuelle reflète directement le changement de direction musicale :

- "Fresh Cream", plus ancré dans le blues rock traditionnel, était illustré par une esthétique sobre et classique.

- "Disraeli Gears" marque l'exploration de la psychédélie, une expérimentation sonore traduite par une pochette vibrante et colorée.

Ainsi, la pochette de Disraeli Gears prépare visuellement l'auditeur à une expérience musicale plus audacieuse et aventureuse. Elle est un élément important de la perception et de la réception de l'album à l'époque, signalant clairement que le groupe s'était affranchi des conventions pour s'aventurer sur de nouveaux territoires sonores.

L'enregistrement s'est déroulé après une série de neuf concerts intenses pour le groupe, ce qui montre que l'album est né dans une période de forte activité. Le choix des studios Atlantic n'était pas anodin, ce label étant une référence pour la musique blues et soul. Cela souligne à quel point Cream, malgré son virage psychédélique, restait profondément ancré dans ses racines blues.

De plus, l'influence du contexte social et politique est visible dans les paroles. Jack Bruce a notamment révélé que la chanson "Take It Back" a été inspirée par des images d'étudiants américains brûlant leurs cartes de conscription pour protester contre la guerre du Vietnam.

● Deux figures clés ont contribué à l'album :

▪︎ Felix Pappalardi : Le producteur a joué un rôle essentiel, non seulement à la production, mais aussi à l'écriture de plusieurs chansons. Par la suite, quelques mois après la sortie de l'album, il a co-fondé le célèbre groupe de hard rock Mountain, ce qui illustre bien la richesse et l'interconnexion de la scène musicale de l'époque.

▪︎ Martin Sharp : L'artiste à l'origine de la pochette de l'album a également participé de manière inattendue. Lors d'une rencontre avec Eric Clapton, il aurait écrit les paroles de "Tales of Brave Ulysses" sur une simple serviette de table.

Ces anecdotes donnent un aperçu fascinant des conditions de création de l'album et de l'effervescence artistique qui régnait en 1967.

L'album "Disraeli Gears" est une œuvre thématiquement riche, qui illustre la transition de Cream entre le blues traditionnel et l'exploration audacieuse de la psychédélie :

▪︎ L'amour et les relations : L'album explore les complexités de l'amour et du désir. Des titres comme "Sunshine of Your Love" ou "Dance the Night Away" illustrent la manière dont le groupe aborde les relations de manière poétique et souvent surréaliste.

▪︎ L'héritage du blues : Malgré le virage psychédélique, l'album reste profondément ancré dans ses racines. Des morceaux comme "Outside Woman Blues" traitent de thèmes classiques du blues tels que la souffrance, la perte et la résilience, témoignant de l'héritage musical du groupe.

▪︎ Le psychédélisme et le surréalisme : L'influence de ce mouvement artistique et culturel est centrale. Les paroles, parfois abstraites et pleines d'images, créent une atmosphère propice à l'exploration des états de conscience. Cet aspect est indissociable de l'album et marque une rupture avec l'approche plus terre-à-terre du blues.

▪︎ Le contexte politique : La chanson "Take It Back" est un exemple de l'engagement social du groupe. Ses paroles, inspirées par les manifestations étudiantes contre la guerre du Vietnam, apportent une dimension antimilitariste qui fait écho au climat politique de l'époque.

Les paroles de Cream ne sont pas toujours narratives ou littérales. Elles servent souvent à créer des ambiances, à susciter des émotions et à compléter la musique, faisant de cet album une œuvre à la fois riche et complexe :

▪︎ "SWLABR" : L'hymne psychédélique de l'album

Le titre "SWLABR" est l'incarnation parfaite de l'aspect psychédélique de "Disraeli Gears".

L'acronyme lui-même contribue à l'atmosphère mystérieuse de la chanson, avec deux interprétations possibles : "She Was Like A Bearded Rainbow" ou "She Walks Like A Bearded Rainbow".

Les paroles évoquent des images étranges et colorées, comme celle d'un "arc-en-ciel barbu", qui peuvent évoquer des visions induites par des substances psychédéliques.

L'atmosphère "planante" et rêveuse créée par la musique, avec ses effets de guitare et ses arrangements audacieux, contribue à cette impression de voyage sonore.

"SWLABR" est une exploration de territoires musicaux et lyriques qui vont bien au-delà du blues rock traditionnel, et qui embrassent pleinement l'esthétique psychédélique de l'époque.

● Deux autres titres emblématiques de "Disraeli Gears" :

"Disraeli Gears" est un album marquant dans la discographie de Cream, non seulement pour son audace musicale, mais aussi parce qu'il contient deux de leurs titres les plus emblématiques, qui ont durablement influencé le rock.

▪︎ "Strange Brew" : Ce morceau d'ouverture est un parfait exemple de la transition du groupe, mariant leurs racines blues avec une nouvelle orientation psychédélique. Il met en valeur le chant puissant de Jack Bruce et le riff de guitare mémorable d'Eric Clapton.

▪︎ "Sunshine of Your Love" : Sans doute la chanson la plus célèbre de Cream, ce titre est devenu un classique intemporel. Son riff de basse distinctif est l'un des plus reconnaissables de l'histoire du rock, et l'alchimie unique entre les trois musiciens y est particulièrement palpable.

Ces trois chansons illustrent parfaitement la richesse et l'impact de l'album, consolidant la place de Cream comme pionniers du rock.

● À sa sortie, l'album "Disraeli Gears" a été un succès retentissant, salué à la fois par la critique et par le public, marquant ainsi l'apogée de Cream.

Les critiques ont accueilli l'album avec un enthousiasme quasi unanime. Ce succès s'est rapidement traduit dans les chiffres, avec des classements impressionnants : 5ᵉ au Royaume-Uni et 4ᵉ aux États-Unis. Cette percée sur le marché américain a été cruciale, consolidant le statut du groupe à l'échelle internationale. L'album a continué de recevoir les éloges au fil des décennies, comme en témoigne le Grammy Hall of Fame Award qu'il a reçu en 1999 et sa présence régulière dans les classements des meilleurs albums de tous les temps.

L'adhésion du public a été tout aussi forte, et des titres comme "Strange Brew" et "Sunshine of Your Love" sont rapidement devenus des classiques. La popularité de ces chansons, qui sont restées des incontournables des concerts, a considérablement élargi la base de fans du groupe et consolidé leur statut de figure majeure du rock de l'époque.

● Le succès de "Disraeli Gears" démontre l'impact durable de l'album, tant sur le plan artistique que commercial.

"Disraeli Gears" n'est pas seulement un album ; c'est un véritable témoignage d'une période d'audace et de créativité musicale sans précédent.

Le groupe Cream y explore de nouveaux territoires sonores, mélangeant avec brio le blues rock avec des éléments psychédéliques et pop. Loin de se contenter de reproduire ce qui a déjà été fait, le trio cherche à innover et à créer un son unique, marquant ainsi une nouvelle ère pour la musique rock.

L'alchimie entre les trois musiciens est palpable à chaque instant. Leur virtuosité individuelle se met entièrement au service de la musique, et ils semblent se nourrir mutuellement de leur énergie et de leur inspiration. Leurs célèbres et longues improvisations sur scène sont la preuve vivante de cette complicité et de leur incroyable capacité à créer ensemble.

● Enfin, l'album est un reflet parfait de l'époque qui l'a vu naître :

-  l'effervescence musicale des années 1960, l'influence de la contre-culture et l'expérimentation de nouvelles sonorités sont autant d'éléments qui font de "Disraeli Gears" une œuvre à la fois unique et intemporelle, précieuse pour l'histoire de la musique.

En lisant des commentaires sur cet album, j'ai été surpris par certains avis que je qualifie d'injustes. Il semble que "Disraeli Gears", malgré son statut d'œuvre majeure, divise encore les auditeurs aujourd'hui. Certains critiques lui reprochent un manque d'authenticité blues, une emphase excessive sur la psychédélie, ou une production trop léchée.

Ces reproches me semblent trop sévères et injustes. Il est essentiel de replacer l'album dans son contexte et de reconnaître l'audace et l'innovation dont Cream a fait preuve. Le mélange des genres, l'expérimentation sonore et la production soignée sont des éléments qui contribuent à la richesse et à la complexité de l'œuvre. Bien sûr, chacun est libre de ses préférences, mais réduire l'album à ces seuls aspects, c'est ignorer sa valeur artistique et son influence historique.

Un autre point souvent soulevé est la brièveté de l'album, qui dure environ 33 minutes. Cettecritique est compréhensible, mais doit être nuancée par le contexte de l'époque. Dans les années 1960, les albums rock étaient souvent plus courts en raison des limitations techniques du format vinyle.

Malgré sa durée, "Disraeli Gears" est un album incroyablement dense et efficace. Il ne contient aucun morceau de "remplissage" ; chaque titre est un concentré de plaisir et de créativité. On peut même dire que sa concision contribue à son impact, laissant l'auditeur sur sa faim et l'invitant à le réécouter. En fin de compte, la qualité des compositions et des performances l'emporte largement sur la quantité.

Comme nous l'avons mentionné, "Fresh Cream" (1966), le premier album du groupe, était profondément ancré dans le blues rock. "Disraeli Gears" a marqué une évolution notable vers un son plus psychédélique et pop. Cette transition, bien que saluée par la plupart, a pu être perçue par certains comme une perte d'authenticité et de fidélité aux racines du blues.

Il est vrai que le son plus direct et brut de "Fresh Cream" a pu séduire les puristes. Cependant, l'évolution de Cream ne doit pas être vue comme une déviation, mais plutôt comme une preuve de leur créativité et de leur volonté d'explorer de nouvelles voies.

L'incorporation d'éléments psychédéliques et pop a permis au groupe d'élargir son public, de connaître un succès commercial plus important et de contribuer à définir le son du rock psychédélique. La question de savoir si cette évolution était "trop éloignée" du blues reste une affaire de goût personnel, mais son mérite artistique et historique est, lui, incontestable.

Certains auditeurs ont pu reprocher à "Disraeli Gears" d'incorporer trop d'éléments pop, ce qui, selon eux, aurait dilué son impact et l'aurait rendu moins "sérieux". Il est vrai que des morceaux comme "Strange Brew" ou "Dance the Night Away" possèdent des structures plus conventionnelles et des mélodies plus accrocheuses que des titres de blues traditionnels.

Il ne faut cependant pas voir cette accessibilité comme un simple compromis commercial. L'incorporation d'éléments pop a ajouté de la diversité et de la richesse à l'album, démontrant que Cream était capable de naviguer entre différents styles musicaux et de créer des chansons mémorables. De plus, cette évolution s'inscrivait dans une tendance générale du rock de la fin des années 1960. Au final, le caractère "trop pop" d'un morceau est une question de goût personnel : ce qui peut sembler commercial pour certains peut êtreconsidéré comme mélodique et accrocheur pour d'autres.

"Disraeli Gears" n'est pas seulement un album marquant pour Cream ; c'est aussi un témoignage essentiel de l'importance et de l'influence d'Eric Clapton.

Cet album consacre définitivement Clapton comme une figure tutélaire de la guitare rock. Son jeu, à la fois virtuose et expressif, atteint un niveau d'excellence qui fait de "Disraeli Gears" une œuvre indispensable pour tous ceux qui apprécient son talent et son impact.

L'album est le document parfait pour comprendre l'ascension de celui que ses fans surnommaient déjà "God", et il reste un incontournable pour saisir l'influence de Clapton sur le rock moderne.














● Un grand merci à Florianne et Gemini pour avoir mis autant d'énergie et de passion dans cette discussion ! Grâce à vous, on a vraiment démonté "Disraeli Gears" comme Ginger Baker un dérailleur... et sans faire d'erreur de prononciation, cette fois!

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