Robert Johnson : Avant le pacte
Qui n'a jamais fredonné un air de blues ? Mais derrière cette musique envoûtante se cache souvent l'ombre d'un personnage énigmatique : Robert Johnson. Si son nom est aujourd'hui indissociable d'une légende sulfureuse, c'est avant tout son talent de guitariste et de chanteur qui l'a élevé au rang d'icône du blues.
Pour saisir toute la profondeur de son œuvre, il est essentiel de plonger dans le contexte socio-historique qui a façonné sa vie et son art. Le blues, c'est bien plus qu'un genre musical : c'est le cri du cœur d'une communauté opprimée, un miroir de souffrances ancestrales.
Passionné de blues depuis toujours, j'ai toujours rêvé de parcourir les États-Unis sur les traces de cette musique légendaire. Lors d'un voyage à travers le pays, j'ai été littéralementhappé par les mélodies envoûtantes du blues. Des villes emblématiques comme Memphis et Chicago m'ont ouvert les portes d'un univers musical riche et complexe. Mais c'est dans le Delta du Mississippi que j'ai véritablement trouvé l'âme du blues. Loin de l'agitation des grandes villes, cette région baignée par le fleuve Mississippi est imprégnée d'une atmosphère à la fois mystérieuse et envoûtante. Les habitants, imprégnés de superstitions ancestrales, semblent entretenir un lien profond avec les forces de la nature et le monde spirituel.
Né de la souffrance, le blues trouve ses racines dans le Delta du Mississippi. Berceau de légendes comme Robert Johnson, cette région était un véritable creuset de misère. La pauvreté, la ségrégation raciale et la violence y régnaient en maîtres. Les Afro-Américains, réduits à l'esclavage puis confrontés aux lois Jim Crow, vivaient dans la peur constante des lynchages. La récolte du coton, épine dorsale de l'économie locale, exigeait un travail épuisant dans des conditions déplorables. Les inondations fréquentes ne faisaient qu'aggraver leur situation, détruisant leurs récoltes et leurs habitations. Privés d'accès aux soins médicaux et à l'éducation, ils étaient condamnés à une existence précaire. C'est dans ce contexte de désespoir que le blues est né, comme un cri du cœur pour exprimer leur douleur et leur résilience.
En visitant cette région, il m'était difficile de ne pas penser à ceux qui l'ont habitée il y a un siècle. J'ai tenté d'imaginer leurs chants s'élevant des champs de coton, mais le vent ne voulait pas les porter jusqu'à moi. Le blues, né de la souffrance mais porteur d'espoir, était alors une bouée de sauvetage dans un monde souvent hostile. Il y a cent ans, la tempête semblait ne jamais vouloir se calmer.
La Première Guerre mondiale marque un tournant pour les Afro-Américains. Alors que les États-Unis entrent en guerre, de nombreux Noirs saisissent cette opportunité pour quitter le Sud ségrégationniste. Malgré les discriminations persistantes au sein de l'armée américaine, ils se portent volontaires en espérant gagner un statut plus égalitaire et contribuer à l'effort de guerre. Ce sentiment d'appartenance à une cause nationale renforce leur sentiment d'unité et leur fierté noire.
Cette mobilisation militaire coïncide avec un mouvement migratoire plus large vers les villes du Nord, où les Afro-Américains espèrent trouver de meilleures conditions de vie et davantage d'opportunités. Cette Grande Migration va profondément transformer la société américaine et poser les bases des luttes pour les droits civiques des décennies suivantes. En servant leur pays, les soldats noirs ont acquis une détermination inébranlable qui alimentera les mouvements pour l'égalité raciale.
Au-delà de ces conditions de vie difficiles, la musique était considérée comme un moyen d'expression essentiel. Les juke-joints étaient des lieux de rassemblement où les gens pouvaient danser et se retrouver entre eux. Le jazz, genre musical qui a émergé des grandes migrations, a rapidement gagné en popularité. Quant au blues, il était utilisé pour raconter les histoires et les conditions de vie des Afro-Américains.
Sur ces terres où l'éducation était interdite à certains, où le Ku Klux Klan régnait en maître, où les croyances étaient tenaces et où le surnaturel avait sa place, certains Afro-Américains gardaient l'espoir d'une vie meilleure dans le Nord. Mais les tensions raciales les suivaient. La Grande Dépression, qui débuta en 1929 et dura une décennie, ruina de nombreuses familles et aggrava encore la pauvreté des Afro-Américains.
Je me remémore mon séjour dans le Delta du Mississippi et les paroles de Robert Johnson, qui témoignent des difficultés auxquelles il a été confronté, comme tant d'autres. Ils ont utilisé la musique comme un moyen de donner un sens à leur vie et de surmonter leur souffrance. De mon point de vue, la musique leur a servi à exorciser leur malheur.
Né dans le Mississippi en 1911, Robert Johnson a grandi dans le tumultueux Delta, berceau du blues. Son enfance, marquée par l'instabilité et la pauvreté, a été profondément influencée par l'absence de son père. Sa mère, confrontée à des difficultés économiques, l'a élevé dans des conditions précaires, souvent en itinérance. C'est dans ce contexte difficile qu'il a découvert la musique, trouvant dans l'harmonica une première source d'évasion. Très vite, cependant, c'est la guitare qui s'est imposée comme son instrument de prédilection, devenant le vecteur de son expression artistique.
Les années 1920 marquent un tournant décisif dans la vie de Robert Johnson. C'est au cours de cette décennie qu'il jette les bases de sa carrière musicale et que les prémices de sa légende commencent à se dessiner. Il épouse Virginia Travis en 1929, de cette union naîtra un fils. Malheureusement, ce bonheur sera de courte durée : son épouse et sonenfant décèdent tragiquement. Ces épreuves successives marqueront profondément Robert Johnson et influenceront indéniablement sa musique, contribuant à en faire une figure emblématique du blues.
Son entourage familial, les musiciens locaux et les juke-joints ont indubitablement joué un rôle déterminant dans la formation musicale de Robert Johnson. Il est fort probable que des bluesmen célèbres de l'époque, tels que Skip James, Son House, Blind Lemon Jefferson et Charlie Patton, aient également influencé son style. Cependant, il est difficile d'isoler une influence unique, tant l'environnement musical dans lequel il a baigné était riche et varié. Les nombreux musiciens qu'il a côtoyés et la musique qu'il a absorbée ont tous contribué à façonner son talent exceptionnel.
Quand je pense à Robert Johnson, une réflexion s'impose : le blues était bien plus qu'une simple musique, il était le miroir de l'âme afro-américaine, une colonne vertébrale de leurs communautés. Des champs de coton aux églises, en passant par les bars enfumés, les notes de blues résonnaient comme un écho des joies et des peines du quotidien. Née de la souffrance et de l'espoir, cette musique a rassemblé des générations entières et transcendé les frontières pour devenir un langage universel, capable de toucher tous les cœurs. Ces premières notes, jouées dans les coins les plus reculés du Sud, étaient les prémices d'une légende qui allait traverser les décennies. Avant de plonger dans le monde du mythe, respectons le parcours de Robert Johnson, un homme dont le talent exceptionnel a contribué à faire du blues ce qu'il est aujourd'hui.
Je parcours les routes poussiéreuses du Mississippi, à la recherche des traces de Robert Johnson. Le soleil tape sur mon visage, et le vent chaud transporte les mélodies du blues. Je me retrouve sur une route sinueuse, au croisement de chemins poussiéreux. Un frisson me parcourt l'échine : à cet endroit, au détour d'une courbe, aurait-il lui aussi hésité ? À chaque carrefour, je sens l'âme de Robert Johnson me frôler, et je me demande si je suisprêt à suivre son chemin.
Nous vous conseillons ces ouvrages pour approfondir vos connaissances sur le blues
-"Le blues - Un siècle d'histoire en images" de Mike Evans: Cet ouvrage offre une vue d'ensemble du blues, depuis ses origines jusqu'à nos jours, avec une attention particulière portée aux pionniers. Il est richement illustré de photos d'époque aux éditions Chroniques
- "La grande encyclopédie du blues" de Gérard Herzhaft: Une référence incontournable pour tous les amoureux du blues. Cet ouvrage exhaustif explore tous les aspects de ce genre musical, avec des biographies détaillées des principaux artistes. Aux éditions Fayard
* Florianne et Gemini, que les esprits du bayou vous bénissent ! Grâce à vos lumières conjuguées, ce projet a pris vie sous nos yeux ébahis. On dit que le vaudou peut tout faire, mais je crois qu'il faudrait un gri-gri sacré pour vous remercier comme il se doit. Merci mille fois !"
Commentaires
Enregistrer un commentaire